Mahâbhârata (I-3) : le grand sacrifice des serpents

Oblations dans le feu sacrificiel védique (yajna) réalisées par un brahmane

Quand on a eu la chance d’assister, ne serait-ce qu’une fois, à un rituel védique, la scène d’ouverture choisie par Laura pour démarrer son récit prend un relief tout particulier. Au cœur d’un tel rituel, le plus souvent tenu en plein air, se trouve un feu sacrificiel circonscrit par un autel. Assis tout autour, siègent les officiants. Si le commanditaire du rituel est un homme ordinaire (peu fortuné), il n’y en a qu’un (comme sur l’illustration ci-dessus). Mais si ce commanditaire est riche et puissant, comme le jeune roi Janamejaya du début de cet épisode, alors, c’est tout un groupe de brahmanes de haute lignée qui est recruté et qui, en jetant dans le feu les offrandes rituelles, psalmodie d’une voix puissante les mantras sanscrits appropriés. Leurs incantations montent à l’unisson au-dessus du foyer et se répandent dans l’atmosphère avec la fumée et l’odeur exhalées par le yajna. Aucun doute n’est possible : dans de telles conditions l’intercession magique ainsi orchestrée ne peut que porter ses fruits. Et c’est bien ce qui est en train de se passer au tout début de notre histoire. Car aussi étrange que cela puisse paraitre, les serpents de la contrée, envoutés par les mantras des brahmanes, sont irrésistiblement attirés par le brasier sacrificiel où, tels des papillons, ils se jettent par centaines. Le rituel de Janamejaya n’a en effet qu’un but : éradiquer la gente serpentine de la surface de la Terre pour venger la mort de son père, tout récemment victime d’une de ces créatures malfaisantes.

Mais que serait un monde sans serpents :  un paradis ou un enfer ? Telle est la question !

 

Génial ce début, non !
Au lieu de commencer l’histoire par son commencement, le Mahâbhârata nous raconte… sa fin.
Nous voilà situés deux générations après la Grande Bataille de Kurukshetra (dans les premières années du kali-yoga donc) et la vie a, semble-t-il, repris un cours à peu près normal. Au point que l’arrière petit-fils d’Arjuna veuille se comporter selon la vieille loi du talion, c’est-à-dire en se vengeant de celui qu’il tient pour la cause de son malheur.

Première leçon de dharma : Seule la miséricorde peut mettre un terme à l’engrenage sans fin du karma. Sans elle, la dialectique infernale « bourreau/victime » ne peut que se poursuivre indéfiniment.
Et seconde leçon : Ce qui arrive à chacun de nous n’est jamais dû au hasard. Quand quelqu’un est victime d’une apparente injustice, c’est en réalité que par son comportement antérieur il s’est attiré ce « retour de karma ». Et s’il prétend qu’il n’a rien à se reprocher, il suffit alors de fouiller dans son passé, y compris généalogique, pour trouver l’origine de son « malheur » présent. Car telle une dette qui ne s’éteint pas avant d’être intégralement remboursée, le karma de nos ancêtres peut nous poursuivre indéfiniment.

Je suis particulièrement frappé par l’actualité de cette leçon. L’arrière-grand-père de Janamejaya (le héros Arjuna) a involontairement fait souffrir la gente animale en déforestant par le feu une vaste région sauvage où lui et ses frères voulaient installer leur nouvelle capitale. L’entreprise, comme on le verra au cours du récit, fut un franc succès. À grands coups de pelleteuses, de bulldozers et de grues (de l’époque!),  les Pânndavas réussirent à bâtir sur ce qui n’était au départ qu’une jungle inhospitalière une immense et magnifique cité : Indraprashta (= « la cité semblable à celle du roi des dieux », ça en jette, non!). Mais ils avaient juste oublié « un détail ». C’est que cette terre qu’ils s’étaient appropriée sans se poser de question sous prétexte qu’elle était « sauvage » abritait en réalité une foule de créatures vivantes de toute sorte, animaux et plantes, qui périrent par centaines de milliers dans cette entreprise « civilisatrice ».  Alors, oui, Arjuna a échappé de son vivant à cet aspect de son karma. Tout comme au XXème siècle, nos  propres parents et grands-parents ont échappé au karma ayant consisté à sacrifier plus de la moitié des êtres vivants non humains de la planète sur l’autel du Progrès et de la Civilisation. Mais il se pourrait bien que leurs descendants (vous et moi) soient contraints rapidement de « payer la facture » de cet effondrement de la biodiversité ! Telle est en tous les cas l’une des leçons les plus fortes que je retiens de cet épisode!
Et vous ?

 


Le who is who de cet épisode

Bonne, nouvelle, la plupart des personnages de cet épisode ne reviendront pas dans la suite du récit. Vous n’avez donc pas besoin de faire l’effort de mémoriser leurs noms. Qu’il vous suffise de vous souvenir du patronyme du troisième des Pândavas, le prince et héros entre tous Arjuna. C’est à travers lui que la lignée  s’est continuée et que « La Grande Histoire des Bhâratha » a pu finalement arriver jusqu’à nous !

Si vous y tenez vraiment, notez la filiation : Arjuna => un des fils d’Arjuna dont il sera question plus tard => Parikshit => Janamejaya.

Et puis gardez aussi dans le coin de votre tête le nom de cette splendide cité antique : Indraprashta, l’éphémère capitale des Pândavas, que certains localisent à l’emplacement de l’actuelle Delhi. Dans la suite du récit, nous serons amenés à y séjourner, et même à visiter son extraordinaire palais…


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