Voici donc, en replay, la suite du « pèlerinage à Channa », effectué par Veronique en 2012/2013 et qui avait fait l’objet d’une première publication sur le blog en novembre 2015.
L’occasion de se retrouver sur les lieux habités par Swamiji puis arpentés par Arnaud.
(Mireille et Georges)
Voici la suite du « journal de Voyage » de Véronique (la 1ère partie est à relire ICI). Puisqu’elle est désormais elle-même abonnée au blog, l’article est à son nom, de façon à ce que vos commentaires lui parviennent en direct!
Yann
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(…)
REMARQUE : c’est Edmonde qui propose d’ajouter ce passage de la fin de l’épisode 1 pour faire le lien avec le 2 (et éviter les répétitions ci-dessus)
« De ce lieu, de cette source, est venu l’enseignement transmis à Hauteville
Nos pas se posent sur la même terre craquelée et rude, foulée naguère par un homme sage et un autre homme en train de le devenir.
Un homme disposé à payer le prix.
Dans sa totalité…
Respirer profondément
Unir le passé et le présent. »
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Deux hommes arrivent.
Maîtres d’école.
Ils décident que la petite case de terre ne peut nous suffire.
Nous offrent la clé de la bâtisse qui se trouve juste en bordure.
C’est le musée de Channa !
Longue pièce en marbre.
Vide.
Avec sur les murs des dessins.
Etapes de la vie de Swâmi Niralamba qui fût révolutionnaire et se battait pour l’indépendance au temps des anglais.
Dans des caissons vitrés, ces mêmes époques en maquettes.
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Le lit voyage de la case à la maison de marbre.
Nous sommes toujours dans l’Ashram, entre deux parcelles de terre cultivée.
C’est le temps où les plants de riz ont séchés.
Celui qui en fait des brassées
Sépare le grain
Le met à sécher sur des nattes au soleil
Fait des fagots des tiges
Les empile
Milliers de gestes répétitifs et patients issus de la nuit des temps
Ici travailler la terre veut encore dire vivre avec elle
Etre attentif à son rythme
S’y caler
Ici travailler la terre veut encore dire avoir les ongles sales, la peau tannée
On travaille la terre les pieds nus
Largement ancrés…
On se penche sur elle
On observe le ciel
On s’assoit aussi, sur elle
On l’écoute
La respire
Immobile
Et puis le mouvement reprend
Succession de moments qui s’inscrivent dans le temps
Le temps vient d’une chose
Cette chose accomplie
Le temps d’une autre arrive
Simplement…
Petit matin. Le soleil se lève. C’est rose et gris. La rivière coule paisible. Nous regardons la vie se manifester, se déployer. Recevons de nombreuses visites. Sans manières… Les femmes du village, joyeuses, volubiles et curieuses. Les enfants, captivés par notre présence surprenante. Echanges de mots, volées de questions qui s’appuient en riant sur les gestes pour pallier l’absence d’une langue commune.
Mariés ? Des enfants ? Fille ? Garçon ? Arranged mariage or love mariage ?
Les hommes aussi viennent nous voir. En moins grand nombre, moins volubiles et moins à l’aise.
Sauf les jeunes qui viennent en groupe, font pleuvoir une pluie de questions, demandent à être photographiés, s’arrêtent net et repartent.
Photos solennelles, immobiles et droites…
En voyant celle d’Arnaud sur le livre que je suis en train de lire le visage d’un homme qui depuis le matin ramasse et dispose des gerbes de riz en meule, s’éclaire d’une intensité émue et profonde, il reste silencieux, contemple ce visage… l’espace de quelques instants Arnaud et lui sont en présence… et puis il se tourne vers nous, nous désigne la photo d’Arnaud, fait des signes qui semblent demander de ses nouvelles, nous lui faisons comprendre qu’Arnaud a maintenant «quitté son corps». Il se recueille, nous salue, retourne à son ouvrage. Gravité, humble noblesse de cet homme pauvre. Présent lui est fait du livre avec la photo d’Arnaud.
Basu Dev se prend d’une affection spontanée et profonde pour Fabien. Cela fait comme deux âmes qui se rencontrent…
Nous recevons invitations. Faisons le tour du village. Dédales de maisons de terre et de chaume. Maisons en dur aussi. Cours intérieures. Centre de vie. Foyer en terre. Dessins auspicieux tracés sur les seuils.
Hospitalité, curiosité, rires et thé au lait. Les femmes ont l’odeur de la terre. La Terre avec laquelle elles font mariage tout le jour. Dans les rues de terre, sur les places de terre, la vie vit son œuvre. Des hommes entreposent du fourrage. Des chèvres habillées de pulls se calent contre les murs chauffés par le soleil. Des enfants arrêtent de jouer pour nous regarder passer. Des femmes balaient devant leur porte. Des galettes de bouses sèchent au sol, sur les murs, aux troncs des arbres. Des vaches fouillent du nez les détritus. Des chiens font comme elles et courent aussi la queue en l’air. Des poules caquettent. Des ânes portent charges. Des coloquintes étalent leur feuillage sur le chaume des toits ronds. Des gens se lavent les dents en marchant. D’autres marchent un outil sur l’épaule. Un vélo passe. Une charrette. Un cochon. Des poubelles au fossé. Un papillon…
La batteuse mécanique fait au village le rythme d’un cœur qui bat…
Tout le jour l’Ashram est animé par le passage de gens qui se rendent dans les champs, qui vont à la rivière, au puits, rendent visite au vieux Swâmi.
Swâmi Ninjânanda
L’ancien
Les gens se rendent auprès de lui, viennent le saluer, s’installent à ses côtés.
Disent-ils paroles ?
Font-ils bavardage ?
Les visiteurs ont tous les âges. Les hommes viennent parler. Les femmes agir. Les enfants suivent. Délurés.
Le soleil de décembre chauffe les os.
Quand il n’y a ni musique, ni sonnerie de téléphone, que les hommes vêtus de dhotis traditionnels sont réunis sous les arbres à côté de la case, qu’une femme en sari traverse la place ombragée avec une jarre sur la tête, qu’une chèvre cherche l’herbe maigre, il me semble assister à une scène millénaire, comme si les âges se fondaient en un présent universel…
Le soir, des élèves viennent prendre des cours d’anglais. Leçons surréalistes. Version indienne entre Swâmi, ses deux élèves et leurs cahiers. L’éclairage d’une ampoule pendue au bout de son fil, unit dans sa faible lumière le maître et ses deux élèves, laisse le reste de la case dans une ombre immobile, hors de la mesure du temps. Le Bengali et l’anglais s’entremêlent de façon quasi inextricable… Poushpendu est le plus assidu des élèves. Il vient le matin avant d’aller au collège ou de se rendre aux champs, s’occupe de la nourriture de Swâmi, de sa case, de ses affaires, de sa barbe avec dévouement et familiarité.
Chaque jour, nous allons nous incliner devant le vieux Swâmi. Echanger un moment avec lui. Son accent bengali est coriace, mon anglais est précaire. Je me concentre de toutes mes forces pour comprendre, recueille quelques volées de mots. Sa préoccupation semble être d’abord notre bien être, sommes nous convenablement installés ? Avons-nous tout ce qu’il faut ? Son autre préoccupation voudrait nous éviter de tomber dans les griffes de quelques adorateurs qui pourraient faire de nous sacrifice à Kali… Cette idée revient en leitmotiv au cours de nos visites. Nous devons nous méfier rester sur nos gardes, « This is real India»… Swâmi aime évoquer les grands noms de l’histoire indienne, Tagore le célèbre poète Bengali qui a reçu le prix Nobel, Gandhi, Ma Anandamayî…
Swâmi est il un sage ou un bien un homme d’âge accueillant et paisible ?
Ce que je perçois de sa relation aux gens et à l’existence, les réponses aux questions que je lui pose, me paraissent sans éclairage particulièrement subtil. Mais peut-être ne suis-je pas en mesure de « voir »… A l’âge de la retraite, près avoir exercé comme agent comptable, il s’est retiré dans cet Ashram, il y vit sobrement au rythme du soleil, regarde les journées passer assis sur une chaise ou sur un lit indien, reçoit visite et nourriture des membres du village. Sans signe ostentatoire, sobrement, il est bienveillant à notre égard.
La nuit, quand le crépuscule a fini d’embraser le ciel de ses mélanges rouges et mauves, que les arbres sont devenus des ombres, le calme qui marque la fin des activités quotidiennes commence à s’étendre… Alors, surgit d’un village voisin, porté par l’espace de la plaine, une musique de variété criarde qui s’installe pour des heures « infinissables»… Nuits sans sommeil qui ouvrent leurs portes au silence trois heures avant que les activités de l’aube reprennent au son sono de ce qui semble être une radio…
Arnaud a peut-être dormi sur ce lit de planche…
Ce qui est sûr c’est qu’il a contemplé cet arbre immense « Non pas je regarde « mon » arbre mais l’arbre est regardé ».
Qu’il a marché au bord cette rivière « L’eau de la rivière prend toutes les formes de ses berges parce que l’eau n’a pas de forme », « Nous ne nous baignons jamais deux fois dans la même eau ».
Ce qui est certain c’est que la nostalgie est inutile.
Arnaud a suivit le chemin qu’il avait à suivre, après d’immenses épreuves dont la substance s’est vécue ici à Channa, il a atteint l’autre versant de l’homme.
Etat qui n’a plus de limite de personne, d’espace et de temps.
Et puis il s’est inscrit dans la lignée des maîtres, des êtres qui transmettent, inspirent…
…
Tibbetibaba Swâmi
Soham Swâmi
Niralamba Swâmi
Prajnânpad Swâmi
Arnaud Desjardins
…
Au Cœur de l’Inde Arnaud a reçu le trésor de la connaissance.
Jusqu’à sa mort, avec un amour et une patience infinis, il a fidèlement transmis et semé les graines de ce trésor en France.
Ne pas confondre le chemin indiqué et le doigt qui le montre,
suivre ma propre route,
utiliser les outils qui me sont proposés avec courage et persévérance,
ne pas chercher quelque chose qui ne saurait être…
Quitter Channa me laisse au cœur un goût d’inachevé…