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Mahâbhârata (I-5) : les ancêtres des Pândavas

Nous savons désormais par quel biais le Mahâbhârata est parvenu jusqu’à nous : c’est pour empêcher Janamejaya, arrière-petit-fils d’Arjuna, de porter une grave atteinte à la biodiversité (l’éradication des serpents) que l’Épopée lui a été racontée. Un conteur itinérant était présent dans l’auditoire : par lui, le récit s'est alors mis à voyager de bouche à oreille, de contrée en contrée, de siècle en siècle....

Nous avons aussi fait connaissance avec son auteur, Vyâsa, et cela nous a permis au passage de comprendre son intention profonde : assurer la transmission au plus grand nombre des clés de la sagesse védique.

À présent il est temps d’en apprendre plus sur la généalogie des futurs héros de l’histoire : les Pândavas

Je vous ai dit dans l’article précédent que le scénario se déroule sur trois scènes parallèles : celle des dévas, celle des asuras et celle des hommes. Cette clé va nous être très utile pour comprendre l’épisode du jour, car quand on cherche la cause première d’un quelconque phénomène terrestre, on bute tôt ou tard sur un mystère, l’origine se trouvant toujours sur un plan plus subtil que celui de la matière.
Tel est ce qui se passe quand on enquête sur les débuts de l’humanité. La généalogie ordinaire montre vite son insuffisance, car elle ne répond pas à la question du « Pourquoi ». À l’origine de toute réalité visible, il y a une intention invisible. Et le monde des intentions, c’est justement celui des dévas. Donc si l’humanité est apparue, c’est parce que deux de ces entités subtiles en ont eu envie : le dieu du Soleil et celui de la Lune. Selon l’Inde, chacune de ces « divinités » est en effet responsable de l’apparition d’une race d’êtres humains qui, dans un premier temps, ont prospéré de façon indépendante. Jusqu’à ce qu’un digne descendant de la dynastie lunaire (le roi Dushyanta) rencontre une belle et non moins digne descendante de la dynastie solaire (Shakuntala). De leur union naquit celui qui, aux dires du texte, allait devenir le plus grand monarque de tous les temps, l’empereur Bhârata. Mais pour en savoir plus, écoutons tout d’abord ensemble le 5ème épisode du podcast de Laura.

Bhârata ou la symbolique de la Lune et du Soleil

Je vais passer sous silence pour l’instant cette étrange histoire initiale concernant la façon dont le roi des dévas Indra a réglé la délicate situation résultant de l’adultère du dieu de la Lune (Chandra), avec la déesse des Étoiles (Tara), car on aura l’occasion d’y revenir plus tard.
Arrêtons-nous juste un instant sur le produit de leur union, leur fils asexué nommé Buddhi. Puisqu’une bonne partie de l’épisode tourne autour de l’équilibre entre la dimension solaire (masculine) et lunaire (féminine) en l’être humain, il se peut que cette bizarrerie soit là pour nous rappeler une vérité métaphysique fondamentale : notre nature profonde est au-delà de la différenciation des sexes. Physiquement nous avons soit un corps d’homme, soit un corps de femme. Psychiquement nous sommes à la fois mâle et femelle comme nous l’explique la suite du récit. Mais spirituellement nous ne sommes ni masculin ni féminin, car la buddhi (cette faculté qui selon Swâmi Prajnânpad nous permet de VOIR) n’a pas de genre ! Que d’enseignement donc dans cette petite anecdote introductive !

Venons-en à présent à l’empereur Bhârata. Vous l’aurez compris, il symbolise la perfection humaine, celle que l’on obtient quand on a réussi à harmoniser en soi le pôle lunaire (la tête) et le pôle solaire (le cœur). C'est en cela qu'il est considéré comme un symbole de l'homme accompli et qu'il est compté comme le représentant emblématique de la première génération concernée par le récit (entendez qu'avant lui, les événements racontés ne le sont que comme des éléments de mise en scène). Il est ainsi à l'origine de la lignée royale à laquelle la plupart des héros de l'histoire vont appartenir. Et voilà pourquoi son nom glorieux a d'abord servi de titre à l'épopée avant de devenir le mot désignant le pays tout entier (en hindi, "Inde" se dit  "Bhârat").

Un certain nombre d’anecdotes sont rattachées à cette figure légendaire. Ainsi dit-on que Bhârata disposait d'une force physique et mentale peu banale. Dès l'enfance il aimait à se mesurer avec les bêtes sauvages et on dit qu'un jour sa mère le trouva en train de jouer avec un bébé tigre dont il avait ouvert la gueule à mains nues pour mieux lui compter les dents (d'où la présence de l'animal sur l'image)! Soham Swâmi (lui-même célèbre dompteur de tigres, avant de devenir le maitre du maitre de Swâmi Prajnânpad) avait donc de qui tenir! Quoi qu'il en soit de cette légende, l'impression principale qui demeure à son évocation est celle d'un monarque plein de bonté et de sagesse qui me fait penser au célèbre du roi Salomon de la culture juive, ou plus proche, à celle de notre bon roi Saint Louis. Bhârata est le modèle du souverain fort, juste et bon, qui, naturellement en état d’équilibre intérieur, est de ce fait capable de faire régner l’ordre et l’harmonie (le dharma) dans le monde extérieur...

Mais ceci étant, comme il s’agit d’un ancêtre très éloigné par rapport au cœur de l'histoire, le texte ne s’y attarde pas outre mesure et se contente ensuite de nommer brièvement ses descendants pour arriver, une vingtaine de générations plus tard, aux aïeux directs de nos héros. Sachez tout de même que parmi la descendance de Bhârata, on trouve deux noms intéressants à connaitre, car en lien avec la partie centrale du récit.

Le premier est celui du roi Hastin. Le texte le présente comme le fondateur de la ville d’Hastinapura (la ville d’Hastin, c’est-à-dire aussi de l’éléphant) qui à partir de son règne devient la capitale du royaume des Bhâratas et où vont donc naître et grandir bon nombre de nos héros. Selon les archéologues, cette ville pourrait effectivement avoir existé dans un passé révolu et se serait située un peu au nord de Delhi, dans l'état actuel de l'Uttar Pradesh... Quoi qu'il en soit, l'épicentre géographique de toute l'Épopée se trouve  bien dans cette partie de l'Inde et tout particulièrement dans les territoires bordant le cours du Gange auquel il est fait de nombreuses fois allusion dans le texte...

Et le second est Kuru. Plus proche temporellement du récit principal, son patronyme va servir à désigner la lice sacrée où les conflits internes au royaume sont censés se régler par les armes, le fameux Kurukshetra (champ de bataille des Kurus) dont il sera question tout particulièrement dans la Bhagavad Gîtâ. Par ailleurs, dans la mesure où la branche ainée de la lignée est celle qui hérite légitimement de la charge royale, cette branche sera désignée dans la suite du récit par le terme de Kauravas (descendants de Kuru). Quant aux Pândavas, qui représentent la branche cadette (et bientôt rivale) de la lignée, nous comprendrons d’où elle tire son nom dans le prochain épisode…

 

Du rififi dans les cieux : Gangâ et Shântanu

À en croire le récit, tout alla pour le mieux pendant un nombre considérable de générations au sein de la dynastie des Bhârata (l’âge d’or de l’humanité en quelque sorte) jusqu’à ce qu’une première série d’incidents contraires au dharma se produise concernant le roi Shântanu. Et c'est donc à partir de ce roi que le récit va véritablement commencer.

Faute de temps, Laura a simplifié à l'extrême l'étrange histoire de Shântanu et de sa première épouse Gangâ. Je la développe donc ici un peu.
 Sachez ainsi que Gangâ et Shântanu sont en réalité des créatures célestes qui vivaient autrefois à la cour du roi Indra. Or un jour ils sont tombés amoureux l’un de l’autre et, emportés par leur passion naissante, ils se sont laissé aller à afficher publiquement leur attirance sexuelle. Pour les « corriger » de ce faux pas indigne de créatures célestes, Brahmâ les a donc contraints à une incarnation terrestre. Car ainsi ils vont pouvoir donner libre cours à leur passion charnelle et expérimenter plus complètement ses limites. Dans ce processus, Shântanu a perdu la conscience de son état antérieur, alors que Gangâ en a conservé la mémoire. Incarnée d'abord sous la forme d'un fleuve majestueux (Ganga = le Gange), elle se sait être une divinité en exil et a le pouvoir de prendre forme humaine à volonté. Par ailleurs, du temps où elle vivait dans le monde céleste, elle était en bons termes avec les huit assistants principaux d'Indra qu’on appelle les Vasus. Or il se trouve qu’un jour ces dévas offensèrent gravement un yogi (humain) très puissant. À l’aide de ses pouvoirs, celui-ci leur jeta une malédiction : pour expier leur faute, ils allaient eux aussi devoir s’incarner et connaitre les affres de la condition humaine ! Apprenant que Gangâ s’apprêtait à subir le même sort, les Vasus lui demandèrent d'accepter d'être leur mère terrestre. Leur requête était qu’elle les fasse passer de vie à trépas dès leur naissance, de façon à ce que la punition de l'incarnation humaine leur soit la plus brève possible. Par pitié pour ses compagnons d’infortune, Gangâ accepta, d’autant que de son côté, pour pouvoir réintégrer le monde céleste, elle devait sur terre retrouver son ancien amant, se faire aimer de lui, puis lui briser le cœur de façon à l’amener à se fâcher contre elle ! Elle imagina donc un plan combinant à la fois son intérêt et celui des Vasus. Une fois sur terre, elle amadoua le père de Shantanu de façon à ce qu’il accepte de lui donner son fils comme époux. La suite de l’histoire, vous la connaissez, mais elle va probablement prendre davantage de relief à présent :

- Si Gangâ noie ses sept premiers enfants, c’est pour rendre service aux Vasus ses compagnons d’infortune sur terre.
- Si elle ne dit rien de ses motivations à son mari (alors que selon le texte, ils s’adorent et ont une vie amoureuse et sexuelle particulièrement intense), c’est parce qu’il lui faut trouver un moyen de déclencher une colère contre elle pour pouvoir réintégrer le monde paradisiaque d’où elle a été exilée.
- Quant au fait que le huitième Vasu va être sauvé par son père, c’est aussi lié à ce qui s’est passé antérieurement dans le monde céleste. C’est ce déva en particulier qui est responsable de l’offense initialement faite au yogi. C’est donc à lui de « payer » le plus lourd tribut, ce qu’il va faire en étant affligé d’une très longue durée de vie terrestre !

Ce déva qui s’ignore, réincarné comme le seul fils survivant de Shântanu, va être l’un des principaux protagonistes de la suite de l’histoire. Il porte différents noms au cours du récit. Dans son enfance il est appelé Gangadatta, c’est à dire « Cadeau du Gange » en référence au fait que sa mère l’a donné à son mari (et au monde humain) au lieu de le noyer comme ses frères. Pendant son adolescence, on le nomme Devavrata, soit le « Pieux», car durant sa formation, il se révèle particulièrement dévoué à ses maîtres dont il devient l’un des plus brillants élèves. Enfin, dès le prochain épisode, il va prendre le nom de Bhîshma (le Magnifique ou aussi le Terrible) pour une raison que nous allons y découvrir…

Mais avant cela, essayons de synthétiser les principaux enseignements à retenir de cet épisode, parmi les plus abscons, j’en conviens :

  • On l’a vu, la capacité à comprendre et à appliquer le dharma provient du juste équilibre en nous entre la tête et le cœur. C’est là un premier enseignement fondamental.
  • Plus inhabituel, mais qui mérite notre réflexion : l’incarnation humaine est présentée ici à la fois comme le lieu où l’expérience de la dualité peut être faite de la façon la plus complète et instructive possible (Gangâ et Shântanu doivent prendre forme humaine pour vivre pleinement leur passion et réaliser in fine sa vanité) et aussi comme -en soi- un lieu d’exil spirituel, voire de perdition pour celui qui « oublie » son origine divine (Les Vasus veulent écourter cette expérience et celui d’entre eux qui n’y parviendra pas va devoir passer par une très longue série d’épreuves).
  • Dernière leçon possible : les choses ne peuvent jamais entièrement s’expliquer dans l’ordre du « visible ». Qu’ils soient sombres ou lumineux, nos destins sont conditionnés par des éléments nombreux dont certains nous échappent parce que relevant des plans subtils de la réalité (le plan des dévas). Ceci est un message très fort de la sagesse indienne. Face à des situations qui nous semblent à priori inacceptables, comme ici l’infanticide de nouveau-nés, il faut se garder de toute indignation excessive et de tout jugement hâtif. L’enchainement des causes et des effets, le fameux « karma » est quelque chose d’infiniment complexe qui ne peut jamais être entièrement prévu ni encore moins entièrement maîtrisé par l’être humain. Cela, comme on le verra en détail par la suite, ne nous dédouane pas d’agir, mais nous incite à l’humilité. « Je fais ma part, mais j’arrête de me prendre pour le chef d’orchestre ».

Et avec tout cela me direz-vous, en quoi sommes-nous plus avancés concernant la généalogie des Pândavas ? Disons en première approximation qu’ils descendent de Shântanu et sont donc, de ce fait, les lointains rejetons du grand Bhârata lui-même ! Mais comme nous allons le découvrir bientôt, la véritable origine de nos héros est quelque peu différente de leur généalogie officielle…

 


Le who is who de cet épisode

Rassurez-vous, il n'est pas nécessaire de mémoriser le nom de bon nombre de protagonistes de cet épisode, car ils ne joueront plus de rôle dans la suite du récit. Souvenez -vous essentiellement de :

  • Bhârata : le monarque archétypal, fondateur mythique de la nation indienne (qui, à cause de son antériorité, ne figure pas dans le tableau ci-dessous)
  • Shântanu :  l'un de ses lointains descendants, amant céleste puis mari terrestre de Ganga, père de Bhîshma
  • Gangâ : la déesse du fleuve, 1ère épouse de Shântanu et mère de Bhîshma
  • Bhîshma : le fils de Shântanu et de Gangâ, prince héritier de la dynastie des Bhâratas

Ci-dessous, les voilà à leur place au sein du tableau des sept générations de personnages impliqués dans l'histoire (les cases vides se compléteront au fil des épisodes)


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