lors je vais essayer à ma manière de vous faire sentir comment on peut vivre ces textes. Je vais partir pour cela de la Chandogya Upanishad. C’est justement l’une des plus vieilles Upanishads, donc aussi l’une des plus difficiles à rendre présente et actuelle. Dans cette Upanishad, l’une des deux plus volumineuses aussi, il est question comme dans toutes les Upanishads, de deux concepts que beaucoup d’entre vous connaissent mais dont certains vont peut-être entendre parler pour la première fois : le concept d’Atman et le concept de Brahman.
‘Atman, c’est le mot sanskrit qui nous désigne, nous, en tant que personne, en tant que sujet. Ce que je suis. L’Atman c’est ce que je suis. Et Brahman c’est ce qu’est la réalité, ce qu’est l’univers, ce qu’est le monde. Mais c’est aussi la totalité du possible, de tous les possibles. Et le thème central des Upanishads, c’est l’articulation entre ces deux concepts. Quel est le rapport entre ce que je suis vraiment et tout le reste? Vous allez dire : « On le sait, c’est simple. Le rapport qu’il y a entre moi et le reste, c’est que je suis un minuscule élément de ce grand tout. ». Ce qui est problématique dans la condition d’être humain c’est que nous savons – enfin intuitivement – notre fragilité. Comme nous sommes un tout petit élément au sein d’un gigantesque ensemble, eh bien ce tout petit élément est extrêmement vulnérable, nous pouvons à tout moment être broyés par la marche de l’univers.

onc ayant cette intuition implicite, nous nous défendons comme de beaux diables contre tous les dangers potentiels que cet univers peut générer. Ainsi, à l’échelle la plus grande, on se protège des intempéries, du climat et des sautes d’humeur de la nature. D’un point de vue plus proche, on se protège des bêtes sauvages, des moustiques, des araignées etc. Et d’un point de vue encore plus proche, on se protège des autres êtres humains : nous ne prenons pas le risque de trop nous en approcher, ils pourraient ne pas être gentils et nous agresser, nous obliger à faire ceci ou à ne pas faire cela…
onc, en tant que conscience séparative (c’est-à-dire en tant que nous se percevant comme une entité séparée du reste), nous avons tout un tas de stratégies de défense contre le reste de la réalité. Et c’est ainsi qu’on s’en sort plus ou moins bien, avec des moments de crise, des moments euphoriques parce qu’on est emporté et qu’on réussit à faire triompher notre point de vue sur celui des autres etc. Mais fondamentalement on n’est jamais durablement en sécurité ; et puis, ce qu’on ne peut pas totalement oublier c’est que à la fin, c’est l’univers qui a le dernier mot. Il n’y a aucun être humain qui peut se tenir face à l’univers et lui dire « Je t’emmerde, je t’emmerde, je t’emmerde c’est moi qui aurai le dernier mot ». C’est toujours l’univers qui, au final, a le dernier mot. Toujours Brahman. D’où le drame de la condition humaine.
ais les Upanishads nous disent : en vous vivant comme cela, comme une identité séparée du tout, vous avez tout faux car votre nature véritable n’est pas ce que vous croyez. Elle n’est pas cette petite conscience limitée que vous croyez être. Votre nature véritable, c’est le Tout. Vous êtes le Tout. Habituellement, vous vous prenez pour une partie. Et comme vous vous prenez pour une partie, vous avez peur de ce qui n’est pas vous. Mais si vous vous donnez la peine de descendre en vous-même, de faire un travail sur vous et de découvrir ce que vous êtes réellement au fond de vous-même, au fond de votre cœur, vous allez vous rendre compte que vous êtes le Tout et que vous n’avez donc rien à craindre d’aucune des parties qui vous composent. Dès lors vous pourrez participer au jeu de la vie en tant qu’entité relative en sachant que rien de fâcheux ne peut vous atteindre dans votre profondeur.
l va vous arriver tout un tas de choses comme à tout le monde. Les maîtres tombent malades attrapent des rhumes, ont un cor au pied, une colique, ou une maladie cardiaque fatale comme Arnaud il y a deux ans. Mais les Upanishads affirment à longueur de pages que la compréhension que nous avons de nous-même comme étant une entité finie et limitée est une illusion. Nous sommes illusionnés par une force appelée identification. C’est-à-dire que notre conscience profonde se colle à ce que nous vivons physiquement et psychologiquement. Je me prends pour les sensations que mon corps me donne et je me prends pour les pensées et les émotions que mon cerveau génère. Alors, une fois que je me suis pris pour ça, je suis dans le piège. Comme je suis une chose en particulier, tout ce qui n’est pas moi est soit menaçant soit attirant. Mais les Upanishads disent : « Non, vous avez tout faux et il est possible de vous en rendre compte!» Les Upanishads ne relèvent pas d’une approche doctrinale dogmatique. Ni non plus d’un acte de foi. Elles ne cherchent pas à nous « convertir ». Les Upanishads nous tapent sur l’épaule (ou parfois nous bottent les fesses!) pour nous réveiller : « Mais arrête de te prendre pour ce que tu n’es pas ! Regarde qui tu es vraiment ! »
LA CHANDOGYA UPANISHAD
>> 35ème minute

ans le texte que je veux évoquer avec vous aujourd’hui, la Chandogya Upanishad, eh bien, on a une situation typique de ce type. Cinq hommes, cinq « maîtres de maison », c’est-à-dire que ce ne sont pas des moines – tant mieux parce que je ne suis pas moine et vous non plus – cinq personnes se retrouvent. Pourquoi se retrouvent-ils, figurez-vous ? Parce qu’ils ont envie de confronter la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. Et de se dire : « Est-ce que oui ou non on est plus que notre individualité ? » Déjà rien que ce début, je trouve cela fantastique ! Que des gens se rencontrent pour se dire : « Bon voilà, on va discuter de foot, on va discuter de jeux vidéos ou de politique », on connaît tous ça. Mais que des gens se rencontrent pour échanger autour de : « Essayons de comprendre qui nous sommes vraiment, mettons en commun ce que chacun de nous a déjà compris de ce à ce sujet », je trouve ça pour le moins fort sympathique…

es cinq hommes discutent et n’arrivent pas à se mettre d’accord sur comment s’y prendre pour élargir la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils finissent par se dire : « Il y a une sixième personne, là-bas, il paraît que c’est un « spécialiste », qui a vraiment une expérience profonde de l’Atman, c’est-à-dire de ce qu’il est vraiment. Allons le voir et lui demander si la façon dont on s’y prend est la bonne ».

e sixième « maître de maison » les voit venir : « Oh ! La ! La ! ils ont l’air d’être déjà bien avancés, je ne suis pas sûr que je vais savoir répondre à toutes leurs questions et je connais quelqu’un d’autre qui est encore plus avancé que moi. Je botte en touche. Allons-y tous les six et interrogeons-le. Présentons-lui nos pratiques et demandons-lui ce qu’il en pense ».

oilà dressé le décor. Ce Maître demande alors à chacun de ses six visiteurs ce qu’il fait comme pratique pour élargir le champ de sa conscience.

uand on lit le texte rapidement, on se dit « Oh ! La ! La ! qu’ils sont mauvais! ils font des trucs débiles pour élargir la perception qu’ils ont d’eux-même, vite vite que le Maître donne la solution ! ». Et puis à force de lire ce texte, un jour je me suis dit : « Mais attends, est-ce qu’ils font des trucs aussi débiles que ça ? » Et c’est alors que je me suis rendu compte que leur pratique était loin d’être « débile » et que chacune de leurs six réponses était une petite merveille qui méritait d’être entendue, d’être méditée et utilisée, même si le Maître à la fin du dialogue affirme : « Aucun d’entre vous n’a la solution complète, il faut mettre toutes ces pratiques bout-à-bout et c’est encore plus vaste que cela ».

ous allons laisser de côté la réponse finale du Maître et nous intéresser à ces six pratiques qui sont proposées par l’Upanishad comme autant de moyens pour augmenter le champ de notre conscience, nous sentir moins prisonniers de notre petite personne et plus reliés à plus grand que nous.