Auteur/autrice : Edmonde Noël

  • Le K-3

    Le K-3, épisode final . Pour lire l’épisode 2  :

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    LE K

     

    A coups de rames, il s’éloigna. Les officiers, les matelots, le virent disparaitre là-bas, sur la mer placide, dans les brumes de la nuit. Au ciel il y avait un croissant de lune.

    « Je me suis décidé à venir à toi, dit Stefano, Et maintenant à nous deux ! »

    Alors, rassemblant ses dernières forces, il brandit le harpon pour frapper.

    «  Boubouhou ! mugit d’une voix suppliante le K. Quel long chemin j’ai dû parcourir pour te trouver ! Moi aussi je suis recru de fatigue… ce que tu as pu me faire nager ! Et toi qui fuyais, qui fuyais…dire que tu n’as jamais rien compris !

    — Compris quoi ? Fit Stefano piqué.

    — Compris que je ne te pourchassais pas autour de la terre pour te dévorer comme tu le pensais. Le roi des mers m’avait simplement chargé de  te remettre ceci.

    Et le squale tira la langue présentant au vieux marin une petite sphère phosphorescente.

    Stefano Stefano la prit entre ses doigts et l’examina.C’était une perle phénoménale. Et il reconnut alors la fameuse Perle de la Mer qui  donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour et paix de l’âme. Mais il était trop tard désormais.

    — Hélas ! dit-il, en hochant la tête tristement. Quelle pitié ! J’ai seulement réussi à gâcher mon existence et la tienne.

    — Adieu mon pauvre homme, repondit le K. »

    Et il plongea à jamais dans les eaux noires.

    Deux mois plus tard poussée par le ressac, une petite chaloupe s’échoua sur un    écueil abrupt. Elle fut aperçue par quelques pêcheurs qui, intrigués, s’en approchèrent. Dans la barque, un squelette blanchi était assis : entre ses phalanges minces il tenait un petit galet arrondi.

    ∗ Le K est un poisson de très grande taille, affreux à voir et extrêmement rare. Selon les mers, les riverains, il est indifféremment appelé kolomber, kahloubra, kalonga…chalun-gra. Les naturalistes, fait étrange, l’ignorent. Quelques-uns, même, soutiennent qu’il n’existe pas.

    ∗∗∗

     

     Pour revenir au K-1 cliquer ici

  • Le K -2

    Le K, 2ème épisode. Pour le 1er épisode , cliquer ICI :

    Le K-1

        Stefano, qui était un garçon sérieux et ambitieux, continua ses études avec profit et, arrivé à l’âge d’homme, il trouva un emploi bien rémunéré et important dans une entreprise de la ville. Entretemps son père était venu à mourir de maladie et le magnifique voilier fut vendu par la veuve. Le fils  se trouva alors à la tête d’une coquette fortune. Le travail, les amitiés, les amusements, les premières amours, la vie de Stefano était désormais toute tracée, néanmoins le souvenir du K  le tourmentait comme un mirage à la fois funeste et fascinant, et au fur et à mesure que les jours passaient, au lieu de s’estomper, il semblait s’intensifier.

    Les satisfactions que l’on tire d’une existence laborieuse, aisée et tranquille, sont grandes, certes, mais l’attraction de l’abime est encore supérieure. Stefano  avait à peine 22 ans lorsque, ayant dit adieu à ses amis de la ville et quitté son emploi, il revint à sa ville natale et annonça à sa mère son intention de faire le même métier que son père. La brave femme à qui Séfano n’avait jamais soufflé mot du mystérieux squale, accueillit sa décision avec joie.

         Et Stefano commença à naviguer témoignant de qualités maritimes, de résistance à la fatigue, d’intrépidité. Il bourlinguait, bourlinguait, sans trêve, et dans le sillage de son bateau, nuit et jour et, par bonace ou par gros-grains, il traînait derrière lui un point noir qui affleurait de temps en temps : c’est le K qui croisait lentement, de long en large,  qui l’attendait avec obstination.

         Mais  Sefano ne réfléchissait pas. La menace continuelle qui le talonnait paraissait même décupler sa volonté, sa passion pour la mer , son ardeur dans les heures de péril et de combat. ….

    Naviguer, naviguer, c’était son unique pensée. 
    À peine avait-il touché terre dans quelque port après de longs mois de mer, que l’impatience le poussait à partir. Il savait que le K l’attendait au large et que le K était synonyme de désastre. Rien à faire.Une impulsion irrépressible l’attirait sans trêve d’un océan à un autre …

         Jusqu’au jour où, soudain, Stéfano  prit conscience qu’il était devenu vieux,  très vieux, et personne de son entourage ne pouvait s’expliquer pourquoi, riche comme il était, il n’abandonnait pas enfin cette damnée existence de marin. Vieux et amèrement malheureux, parce qu’il avait usé son existence entière dans cette fuite insensée à travers les mers pour fuir son ennemi. …

         Et un soir, tandis que son magnifique navire était ancré au large du port où il était né, il sentit sa fin prochaine. Alors il appela le capitaine en qui il avait une totale confiance, et lui enjoignit de ne pas s’opposer à ce qu’il allait tenter. L’autre, sur l’honneur, promit.

         Ayant obtenu cette assurance,  Stéfano révéla  alors au capitaine qui l’écoutait bouche bée, L’histoire du K qui avait continué de le suivre pendant presque 50 ans, inutilement.

    « Il m’a escorté d’un bout à l’autre du monde, dit-il, avec une fidélité que même le plus noble ami n’aurait pas témoignée. Maintenant je suis sur le point de mourir. Lui aussi doit être terriblement vieux et fatigué. Je ne peux pas tromper son attente. »

         Ayant dit,Il prit congé, fit descendre une chaloupe à La mer et s’y installa après  s’être fait remettre un harpon.

    « Maintenant, je vais aller à sa rencontre, annonça-t-il. Il est juste que je ne le déçoive pas. Mais je lutterai de toutes mes dernières forces. »

    A suivre  (cliquer)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le K-1

    Le K est une nouvelle de l’écrivain italien Dino Buzzati dont Yves Rémond, alors collaborateur à Hauteville, nous avait parlé, lors d’un weekend à La Bertais, il y a plusieurs années, la présentant comme le symbole de l’attraction  (et « répulsion ») qu’exerce l’appel de la spiritualité tout au long de notre existence.

    Voici  le début de la nouvelle :

    ≈≈≈

    Quand Stefano Roi eut douze ans, il demanda comme cadeau à son père, qui était capitaine au long cours, et maître d’un beau voilier, de l’emmener à bord avec lui.

    « Quand je serai grand, dit-il, je veux aller sur la mer comme toi. Et je commanderai des navires encore plus beaux et encore plus gros que le tien.

    – Dieu te bénisse, mon petit, répondit le père ».

    Et comme son bâtiment devait justement appareiller ce jour-là, il emmena le garçon à bord avec lui.

    C’était une journée splendide, ensoleillée, et la mer était calme. Stefano qui n’était jamais monté sur le bateau, courait tout heureux sur le pont, admirant les manœuvres compliquées des voiles. Et il posait de multiples questions aux marins qui, en souriant, lui donnaient toutes les explications souhaitables.

    Arrivé à la poupe, le garçon s’arrêta net, intrigué, pour observer quelque chose qui émergeait par intermittence, à deux cents, trois cents mètres environ dans le sillage du navire.

    Bien que le bâtiment courût déjà à belle allure, porté par une brise favorable, cette chose gardait toujours le même écart. Et bien qu’il n’en comprît pas la nature, il y avait en elle un je-ne-sais-quoi d’indéfinissable qui fascinait intensément l’enfant.

    Le père, qui ne voyait plus Stéfano et l’avait hélé sans succès, descendit de sa passerelle de commandement pour se mettre à sa recherche.

    «Stefano, qu’estce que tu fais, planté là ? …

    — Papa, viens voir !»
    Le père vint et regarda dans la direction que lui indiquait le garçon mais il ne vit rien du tout

    «  Il y a une chose noire qui se montre de temps en temps dans le sillage, dit l’enfant et qui nous suit.

    – J’ai beau avoir quarante ans, dit le père, je crois que j’ai encore de bons yeux . Mais je ne remarque absolument rien.

    Comme son fils insistait,il alla prendre sa longue-vue et scruta la surface de la mer en direction du sillage. Stéphano le vit pâlir.

    – Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu fais cette figure là, dis papa?

    — Oh ! Si seulement je ne t’avais pas écouté, dit le capitaine. Je vais me faire bien du souci pour toi maintenant. Ce que tu vois émerger de l’eau et qui nous suit, n’est pas une chose mais bel et bien un K.  C´est le monstre que craignent tous les navigateurs de toutes les mers du monde. … Pour des raisons que personne ne connaîtra peut-être jamais, il choisit sa victime et,  une fois qu’il l’a choisie, il la suit pendant des années et des années, toute la vie, s’il le faut, jusqu’au moment où il réussit à la dévorer.

    – C’est une blague que tu me racontes, papa !

    – Non, non, et je n’avais encore jamais vu ce monstre, mais d’après les descriptions que j’ai si souvent entendues, je l’ai immédiatement identifié. ….. Stéphano, il n’y a plus de doute possible, hélas ! le K a jeté son dévolu sur toi ….. Ecoute-moi bien, mon petit : nous allons immédiatement retourner au port, tu débarqueras  et tu ne t’aventureras plus jamais au-delà du rivage pour quelque raison que ce soit. Tu dois me le promettre. …

    À partir de ce moment, tous les moyens furent bons pour combattre l’attirance  que le garçon éprouvait pour la mer. Le père l’envoya étudier dans dans une ville de l’intérieur des terres à des centaines de kilomètres de là. Et pendant quelques temps, Stefano distrait par ce nouveau milieu, ne pensa plus aux monstres marins. Toutefois, aux grandes vacances, il revint à la maison et il ne put s’empêcher, dès qu’il eut une minute de libre, de courir à l’extrémité de la jetée pour une sorte de vérification qu’il  jugeait superflue et dans le fond ridicule. ⌈…..⌉

    Mais Stefano resta médusé, le cœur battant la chamade. A deux, trois cents mètres du môle, en haute mer, le sinistre animal croisait lentement, sortant la tête hors de l’eau de temps à autre, et regardant vers le rivage comme pour voir si Stefano  venait enfin. .⌈…..⌉

    c’est alors que la pensée de cette créature hostile qui l’attendait jour et nuit devint pour Stefano une obsession secrète. Dans la cité lointaine il lui arrivait de se réveiller en pleine nuit avec inquiétude. Il était en lieu sûr, oui. … Et pourtant il savait qu’au delà des montagnes, au-delà des bois, au-delà des plaines, le squale continuait à l’attendre.

    A suivre (cliquer)

  • Demain la terre

     

    A quoi pourrait ressembler l’agriculture de demain ?

    Marc Dufumier

    Mardi 20 octobre dernier, Mathieu Vidard avait invité dans son émission La Terre au carré (sur France Inter) l’ingénieur  agronome spécialiste de « l’agroécologie scientifique », Marc Dufumier.

    L’émission m’a paru si passionnante, riche  et positive, que j’ai pensé immédiatement à en transmettre le podcast sur notre blog (en recourant à la gracieuse  aide de Joël et de Mireille). Mais, de retouches en retouches, il a reculé dans la liste d’attente, et, ce 1er Février de l’An de grâce 2021, nouvelle retouche : j’indique le plan de l’émission car, si Marc Dufumier est bien présent tout au long de l’émission, dont le thème principal est l’agroécologie, d’autres personnes interviennent aussi sur d’autres thèmes, moins longtemps :

    0.5’   Sommaire ce l’émission, présentation de Marc Dufumier, puis, à 2.30’  thème central : l’agroécologie. _ 15.15’  pause musicale. _ 17.5.’   Retour à l’agroécologie. (La faim ds le monde etc.).26.06’ ”François passe au vert” : langues autochtones, leur disparition…. _ 32.17’ Pause music (Bashung). _ 34.10’ Retour à l’agroécologie. _ 40.40’ ”Le son du lagon ”🐠 Éco-acoustique. _ 47.30’ Musique. _ 50,02’  Sommeil et réchaffement de la planète. _ 53.15’ Conclusion avec M.Dufumier 1,5′.

    Bonne écoute à tous et toutes, une écoute de 55 mn, mais vous pouvez commencer à la mn 2.30 et vous arrêter à la mn 40.40, ou …, si vous voulez  Edmonde

    🌻🐥🦋🐜🐢🐇🌳🎄🌵🐟

    Voici le texte de présentation de cette émission :

    « Pour l’agronome Marc Dufumier, notre modèle agricole actuel productiviste est à bout de souffle et ne permet plus à nos agriculteurs de vivre correctement. De plus l’agriculture industrielle a mené à une crise écologique majeure. A quoi pourrait ressembler l’agriculture de demain ?

    A l’appui de ses années de recherche et enseignement à l’Agro Paris Tech, ainsi que ses nombreuses expériences de terrain aux quatre coins du monde, Marc Dufumier encourage le développement d’une agro écologie scientifique qui prône un usage intensif des ressources naturelles renouvelables grâce à une fine connaissance du fonctionnement des agroécosystèmes. 

    Il explique que la révolution agro-écologique ne touche pas qu’à l’agriculture, mais aussi à l’histoire, à l’économie, à la sociologie, à la culture… « 

    Podcast :

     

     

     

     

     

     

  • Hassan et Périclès

     

    Calligraphie de Hassan Massoudy

    .

     « La source de la liberté est dans le courage »

    (Périclès)

     

    §

     Calligraphie de  Hassan Massoudy (cliquer pour voir son site): 

    La petite phrase de 2 lignes écrite en bas à droite de l’image, calligraphiée en arabe par Hassan Massoudy, est une citation extraite du discours  de Périclès aux Athéniens, qui s’apprêtaient à affronter l’immense armée des Perses arrivés aux portes de la Grèce.
    >>Si vous cliquez une fois sur l’image, celle-ci apparaît seule puis si vous cliquez 2 fois sur la citation, elle apparait, clignotante, traduite en français. Ne vous privez pas d’un plaisir aussi innocent!

    §

     

    J’avais remarqué cette calligraphie sur une carte postale que j’ai trouvée très belle, mais avec une variante : le voile qui l’enveloppe se déploie vers la gauche. Ci-dessous la photo : 

  • Le Bateau ivre (1) replay

    replay
    « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

     


             LE BATEAU IVRE
                  (Rimbaud 1871)

    Comme je descendais des Fleuves impassibles,
    Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
    Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
    Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

    J’étais insoucieux de tous les équipages,
    Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
    Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
    Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

    Dans les clapotements furieux des marées,
    Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
    Je courus ! Et les Péninsules démarrées
    N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

    La tempête a béni mes éveils maritimes.
    Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
    Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
    Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

    Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,
    L’eau verte pénétra ma coque de sapin
    Et des taches de vins bleus et des vomissures
    Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

    Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
    De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
    Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
    Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

    Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
    Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
    Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
    Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

    Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
    Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
    L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
    Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

    J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
    Illuminant de longs figements violets,
    Pareils à des acteurs de drames très antiques
    Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

    J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
    Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
    La circulation des sèves inouïes,
    Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

    J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
    Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
    Sans songer que les pieds lumineux des Maries
    Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

    J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
    Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
    D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
    Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

    …/…/…

    C’est un poème de 25 quatrains, et tu n’y couperas pas, cher Blog, mais ce sera en 2 fois !

    Pour lire la suite de ce poème  (et l’écouter chanté par Léo Ferré) cliquer ICI

    .En cherchant des illustrations pour ce texte, j’ai fait une trrouvaille :  le beau  dessin animé d’Erwann Le Gal (ci-dessous, en deux parties) intitulé « Le poème de lamer »,  qui établit un parallèle entre « Le Bateau ivre » et le Nautilus de « Vingt mille lieues sous les mers » (Jules Verne), paru un an avant, et que Rimbaud avait lu, probablement. Richard Bohringer lit le poème, Hélène Grimaud accompagne au piano.

    Ce dessin animé a été supprimé sur le blog mais on peut le retrouver , sur dailymotion, (suivi de pubs et reportages divers.)

    LE POEME DE LA MER 1/2 par ERWANLEGAL

  • Après le Deluge

    Après le Déluge

     Rimbaud

    Aussitôt que l’idée du Déluge se fut rassise,

        Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l’arc-en-ciel à travers la toile de l’araignée.

        Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, − les fleurs qui regardaient déjà.

         Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l’on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.

        Le sang coula, chez Barbe-Bleue, − aux abattoirs, − dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.

        Les castors bâtirent. Les « mazagrans » fumèrent dans les estaminets.

        Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.

        Une porte claqua, et sur la place du hameau, l’enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l’éclatante giboulée.

        Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.

        Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.

        Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym,  − et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.

        − Sourds, étang, − Écume, roule sur le pont, et par dessus les bois; − draps noirs et orgues, − éclairs et tonnerres − montez et roulez; − Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.

        Car depuis qu’ils se sont dissipés, − oh les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes ! − c’est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu’elle sait, et que nous ignorons.

    RIMBAUD (Les Illuminations)

     

  • Poème de Jaccottet


    un peu plus haut que cette place aux rares cibles,

    nous cherchons l’escalier d’où la mer est visible

    ou du moins le serait si le ciel était clair.

    -nous avons voyagé pour la douceur de l’air,

    pour l’oubli de la mort, pour la toison dorée…

    Malgré le chemin fait nous restons à l’orée,

    et ce n’est pas ces mots hâtifs qu’il nous faudrait,

    ni cet oubli, lui-même oublié tôt après…_

    Il commence à pleuvoir. On a changé d’année.

    Tu vois   bien qu’aux regrets notre âme est condamnée 

    il faut, même en Sicile, accepter sur nos mains

    les mille épines de la pluie…jusqu’à demain.

    Philippe   Jaccottet

    ——–
  • Réinventer les aurores

     

    Réinventer les aurores

    C’est le titre de l’ouvrage écrit par  Haïm Korsia, grand rabbin de France, que j’ai vu récemment  sur France 5 à l’émission «C à vous» (27/02/20), et dont j’ai été très contente de faire la connaissance.

    J’ai gardé le titre de son livre parce qu’il est beau…comme la première de couverture, offerte par un très grand artiste, que vous reconnaitrez. 

    Mais ici c’est la belle interview de Haïm Korsia , que je retransmets, car elle laisse passer la lumière.

    Sa dénonciation de la banalisation de la Shoa lors d’un carnaval en Belgique, me va droit au cœur,  son amour pour la république, mais aussi sa douceur, sa finesse et son humour qui ont apporté beaucoup de joie dans le studio.

     Je vous laisse découvrir (en 7 mn…)

  • Cœur est ton nom, ô Seigneur (2)- replay

    replay

    Cœur est ton Nom, ô Seigneur !

    Moments de silence avec

    Sri Ramana Maharshi

    Il existe un état au-delà de nos efforts

    et de notre absence d’efforts.

    Jusqu’à ce qu’il soit réalisé, l’effort demeure nécessaire.

    Après avoir goûté une telle Félicité

    ne serait-ce qu’une seule fois,

    on essaiera encore et encore de la retrouver.

    *

    Le Christ est l’égo

    La Croix est le Corps.

    Lorsque l’égo est crucifié

    et périt

    ce qui survit est

    l’Être absolu.

    Et cette glorieuse survivance

    est appelée

    Résurrection.

    *

    La réalisation du Soi est l’aide la plus grande

    que l’on puisse apporter à l’humanité.

    Un Saint aide l’humanité entière,

    à l’insu de celle-ci.

    L’aide est imperceptible,

    mais elle est toujours là.

    *

    Pour la 1ère partie de cet article, extrait d’un recueil de citations de Ramana Maharshi, cliquer ici : Cœur est ton nom, ô Seigneur (1)

  • L’espoir luit…

     

    L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.

    Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?

    Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.

    Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?


    Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,

    Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,

    Et je dorloterai les rêves de ta sieste,

    Et tu chantonneras comme un enfant bercé.


    Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.

    Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme

    Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.


    Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.

    Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.

    Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

    (Verlaine – Sagesse)

     

    P.S. :- Ce poème est en rapport avec l’escapade de Verlaine en Angleterre avec Rimbaud, en Septembre 1872. Le recueil Sagesse est publié en 1880.

    – L’œuvre est de Jean-Michel Solvès. Son site, très beau, est  présenté sur le blog de iPapy, début Juillet  (site  de Solvès).

     

  • Le Mendiant

     

    Le Mendiant

     

    Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.

    Je cognai sur ma vitre ; il s’arrêta devant

    Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile.

     

    Les ânes revenaient du marché de la ville,

    Portant les paysans accroupis sur leurs bâts. 

    C’était le vieux qui vit dans une niche au bas 

    De la montée, et rêve, attendant, solitaire, 

    Un rayon du ciel triste, un liard de la terre, 

    Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu. 

    je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu. 

    Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme

    Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »

    Et je lui fis donner une jatte de lait.

    Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait, 

    Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre. 

    « Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre , 

    Devant la cheminée. » Il s’approcha du feu. 

    Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu, 

    Étalé largement sur la chaude fournaise,

    Piqué de mille trous par la lueur de braise,

    Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé. 

    Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé 

    D’où ruisselait la pluie et l’eau des fondrières, 

    Je songeais que cet homme était plein de prières, 

    Et je regardais, sourd à ce que nous disions, 

    Sa bure où je voyais des constellations.

    Victor Hugo, Les Contemplations (1856)

     

    Van Gogh Nuit étoilée

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  • Citation du lundi (73)

     

    — Si vous vous appuyez sur votre faiblesse, de la profondeur de vous-même montera quelque chose qui sera une force située au-delà de votre faiblesse. Du fait même que vous reconnaissez votre faiblesse, vous en tirez une force. Comme vous serez dans la vérité, vous serez située à un niveau plus profond de vous-même.»

    Arnaud, cité par Véronique. Dans l’intime d’un chemin.


     

  • L’Affiche rouge – replay

    Le 31/10/2018, je mets la TV sur La Grande Librairie et là je suis interpellée par le visage très ému de Robert Badinter évoquant son père, jamais revenu d’un camp d’extermination (Auschwitz), après lui, c’est au tour d’Annette Wieviorka , écrivain historienne, de prendre la parole. « Sauvegarder la mémoire, dira-t-elle, c’est le rôle de l’historien, mais l’art aussi y joue son rôle »; et elle finit en citant Aragon, son poème «Strophes pour se souvenir»,    puis Léo Ferré qui a mis ce poème en musique et l’a chanté sous le titre «L’Affiche rouge» !

    Alors je me souviens de l’article «L’affiche rouge »  que  j’ai mis sur le blog en 2OO9. Et je me dis que moi aussi je peux ajouter ma petite contribution à cette préservation de la mémoire. (D’où ce replay).

     

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       L’Affiche rouge est une affiche de propagande officielle placardée en France dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de la région parisienne et de l’exécution, au fort du Mont Valérien, de 22 d’entre eux le 21 février 1944. Le 23e membre, une Juive roumaine de 31 ans,  Olga Bancic,sera déportée et exécutée à Stuttgart en Mai 44. Le 24e réussira à s’enfuir et rejoindra les FFI.
    Les FTP-MOI compteront parmi les groupes de résistance les plus actifs et les plus déterminés, notamment parce qu’ils sont en tant qu’étrangers, et Juifs pour beaucoup, directement visés par le régime de Vichy (…).Les FTP-MOI GroupeManouchian.jpg sont particulièrement connus à travers l’épisode du procès des 24 membres du groupe de Missak Manouchian(arménien, poète et ouvrier, communiste) et de l’Affiche rouge.
    (cf.Wikipedia –cliquer sur les mots en rouge, ou bleu, notamment sur « Affiche rouge«  pour le contenu de l’affiche,l’accès à qq photos etc.)(Je vous conseille aussi de cliquer / « Olga Bancic » =site : pages perso orange)

    L’affiche présente le portrait de 10 de ces Partisans exécutés choisis parmi les plus susceptibles de faire peur aux Français Juifs d’Europe de l’Est majoritairement ; sous le portrait, elle indique leur nom, « difficile à prononcer », leur nationalité -étrangère- , les actes -« de terrorisme »- dont ils sont accusés. Le but est de déconsidérer la Résistance aux yeux des Français, c’est l’effet inverse qui sera obtenu : compassion, admiration pour ces jeunes hommes qui se sont battus pour la France.L’âge de ces 24 membres va de 18 à 42 ans, dont 11 de 18 à 22


    Onze ans plus tard, en 1955, Aragon leur rendra hommage à l’occasion de l’inauguration de la « rue du Groupe-Manouchian », à Paris dans le 20e, en écrivant « Strophes pour se souvenir », poème que je trouve d’autant plus émouvant que les dernières strophes (en italique) sont directement inspirées de la dernière lettre de Manouchian à son épouse Mélinée, écrite le matin de son exécution.


    STROPHES POUR SE SOUVENIR

    Vous n’aviez réclamé la gloire ni les larmes
    Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
    Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
    Vous vous étiez servi simplement de vos armes
    La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

    Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
    Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
    L’affiche qui semblait une tâche de sang
    Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
    Y cherchait un effet de peur sur les passants

    Nul ne semblait vous voir Français de préférence
    Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
    Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
    Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
    Et les mornes matins en étaient différents

    Tout avait la couleur uniforme du givre
    A la fin Février pour vos derniers moments
    Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
    Bonheur à tous bonheur à ceux qui vont survivre
    Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

    Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
    Adieu la vie adieu la lumière et le vent
    Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
    Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
    Quand tout sera fini plus tard en Erivan

    Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
    Que la nature est belle et que le cœur me fend
    La justice viendra sur nos pas triomphants
    Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
    Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

     Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
    Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
    Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
    Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
    Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

     

    Léo Ferré mettra ce poème en musique et le chantera  sous le titre « L’Affiche rouge » (cliquer sur  le lien : léo ferré – l’affiche rouge ). Il sera chanté aussi par Leni Escudero et bien d’autres…



    Dès que j’ai su que « L’Armée du crime«  le film de Guédiguian était sorti, je me suis souvenue de ce poème, qui m’a toujours touchée, et suis allée le voir ; je me disais même que c’était comme un « devoir de mémoire » et un moyen de mieux comprendre cet épisode marquant de notre histoire, que je ne connaissais pratiquement qu’à travers ce poème d’Aragon. Bien que ce soit lui qui m’ait incitée à écrire cet article, je ne vous parlerai pas plus de cet excellent film -qui mérite d’être vu- mais je vous indique un lien que je viens de découvrir et qui me paraît super : L’Armée du crime – Un film de Robert Guédiguian – STUDIOCANAL

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  • Citation du Dalaï Lama

    L’Amour                                                                             dalai_lama.jpg

    « Quelle que soit votre vénération pour les maîtres tibétains
    et votre amour pour le peuple tibétain, ne dites jamais de mal des Chinois.
    Le feu de la haine ne s’éteint que par l’amour et, si le feu de la haine ne s’éteint pas, c’est que l’amour n’est pas encore assez fort. »

    Sa Sainteté le XIVème Dalai Lama

    (Publié par ipapy le mercredi, avril 23, 2008.Citation reprise sur ce blog dans notre article Tibet du 30 Avril 08)