Auteur/autrice : Noël Frot

  • Mandalas – 1

     

    En préambule des dimanches de soutien à la mise en pratique, les « samedis d’Anne-Marie » ont redémarré et avec eux s’est relancée la production de mandalas. Voici le résultat du premier samedi : les huit mandalas des huit personnes présentes. Le motif de base est le même. Si si ! Une matérialisation parfaite de la différence !

     

  • Aide à la méditation – 2

    Voici encore quelques dessins butinés sur le net.

     

    Comment ne pas méditer

    « Pas de pensées Pas de pensées Pas de pensées Pas de pensées Pas de pensées Pas de pensées Pas de pensées… »

     

     

    Session de méditation pour geeks

    « Dans le navigateur de votre esprit, vider votre cache… »

    « Maintenant effacez votre historique… »

    « Maintenant naviguez sur une page web vierge… »

  • Aide à la méditation

     

    Pour vous aider à vous préparer joyeusement à l’approche du week-end de méditation,

    voici quelques dessins butinés sur le net.

     

     

     

    « Allez, paix intérieure ! Je n’ai pas toute la journée »

     


    « Je vais m’assoir et me vider de mes pensées »   « C’est ce que je fais tous les jours »

     

    « De retour dans 5 mn »

     

    « Waouh… Ça doit marcher ! Il y a cette incroyable lumière… »

     

  • L’instant du photographe

     

    Le Brusc, Provence. Piscine conçue par Alain Capeillieres. 1976 (©Martine Franck/Magnum Photos)

     

    « Une photographie n’est pas nécessairement un mensonge, mais ce n’est pas non plus la vérité. C’est plutôt une impression flottante, subjective. Ce que j’aime le plus dans la photographie est ce moment que l’on ne peut anticiper : il faut constamment être à l’affut de ce moment, prêt à accueillir l’imprévu »

    Martine Franck

     

    Henri Cartier-Bresson en 1992 (©Martine Franck/Magnum Photos)

    Les deux photos  et la citation précédentes sont extraites d’un article de Gérard Lefort, dans le journal Libération du samedi 18 août 2012, qui rendait hommage à la photographe Martine Franck, décédée le 15 août 2012, à l’age de 74 ans.  Elle était l’épouse du photographe Henri Cartier-Bresson. Elle a, entre autres, beaucoup photographié Ariane Mnouchkine et son Théatre du Soleil. Sa fiche wikipedia est ici.

    Martine Franck photographiée par son mari, Henri Cartier-Bresson, à Venise, 1972. (©Henri Cartier-Bresson/Magnum photos)

    En 1993 et 1996, Martine Franck a effectué des reportages photos sur les moines tulku. Dans le bouddhisme tibétain, les tulkus sont les réincarnations de maîtres et de lamas disparus. Voici quelques unes de ses photos, que vous pouvez aussi retrouver, ainsi que bien d’autres, sur le site de l’agence Magnum : ici.

    Tulku Khentrol Lodro Rabsel avec son tuteur Llagyel dans le monastère de  Shechen.

    Bodnath, Nepal, 1996. (©Martine Franck/Magnum Photos)


    Au palais du Dalaï Lama. Le Dalaï Lama en conversation avec le Tulku Kalou Rinpoche (âgé de 8 ans) et sa famille.

    Inde, Dharamsala, 1996. (©Martine Franck/Magnum Photos)

    1996. (©Martine Franck/Magnum Photos)

    La réincarnation de Kalou Rimpoche, nouvellement intronisé, avec son tuteur Bokar Rimpotche, qui supervisera son éducation et sa formation spirituelle.

    Inde, Darjeeling, temple du monastère Sonada. February 28th, 1993. (©Martine Franck/Magnum Photos)

    La momie dorée de Kalou Rimpotche.

    Inde, Darjeeling, 1993. (©Martine Franck/Magnum Photos)

  • L’art de la méditation – Matthieu Ricard – 2

    Voici le deuxième article avec quelques extraits du livre « L’art de la méditation » de Matthieu Ricard.
     

     

    Affiner l’attention et la pleine conscience

    Galilée a découvert les anneaux de Saturne après avoir fabriqué une lunette astronomique suffi­samment lumineuse et puissante qu’il a ensuite placée sur un support stable. Cette découverte n’aurait pas été possible si son instrument avait été défectueux ou s’il l’avait tenu d’une main trem­blante. De la même façon, si nous voulons observer les mécanismes les plus subtils du fonctionnement de notre esprit et agir sur eux, nous devons absolument affiner notre pouvoir d’introspection. À cette fin, il nous faut parfaitement aiguiser notre attention de façon à ce qu’elle devienne stable et claire. Nous pourrons alors observer le fonctionnement de notre esprit, la façon dont il perçoit le monde, et comprendre l’enchaînement des pensées. Enfin, nous serons en mesure d’affiner davantage la perception de notre esprit pour discerner l’aspect le plus fondamental de la conscience, un état parfaitement lucide et éveillé qui est toujours là, même en l’absence de construc­tions mentales.

     

    Ce que la méditation n’est pas

    On reproche parfois aux pratiquants de la médi­tation d’être trop centrés sur eux-mêmes, de se complaire dans une certaine introspection égocentrique au lieu de s’occuper des autres. On ne peut pourtant pas traiter d’égoïste une démarche qui a pour but d’éradiquer l’obsession de soi et de cultiver l’altruisme. Cela reviendrait à reprocher à un futur médecin de passer des années à étudier la médecine.

    Il existe de nombreux clichés concernant la médi­tation. Disons d’emblée qu’elle ne consiste ni à faire le vide dans son esprit en bloquant les pensées – ce qui est d’ailleurs impossible — ni à engager l’esprit dans des cogitations sans fin pour analyser le passé ou anticiper l’avenir. Elle ne se réduit pas non plus à un simple processus de relaxation dans lequel les conflits intérieurs sont momentanément suspendus dans un état de conscience indifférencié.

    Il y a certes un élément de relaxation dans la médi­tation, mais il s’agit plutôt du soulagement qui accompagne le « lâcher prise » sur les espoirs et les craintes, sur les attachements et les caprices de l’ego qui ne cessent de nourrir nos conflits intérieurs.

     

     

    Une maîtrise qui libère

    La façon de gérer les pensées, nous le verrons, ne consiste ni à les bloquer ni à les nourrir indéfiniment, mais à les laisser survenir et se dissoudre d’elles-mêmes dans le champ de la pleine conscience, de sorte qu’elles n’envahissent pas notre esprit.

    La méditation consiste plus exactement à prendre le contrôle de son esprit, à se familiariser avec une nouvelle compréhension du monde et à cultiver une manière d’être qui n’est plus soumise à nos schémas de pensée habituels. Elle débute souvent par une démarche analytique et se poursuit par la contem­plation et la transformation intérieures.

    Etre libre, c’est être maître de soi-même. Ce n’est pas faire tout ce qui nous passe par la tête mais s’émanciper de la contrainte des afflictions qui dominent l’esprit et l’obscurcissent. C’est prendre sa vie en main, au lieu de l’abandonner aux tendances forgées par l’habitude et à la confusion mentale. Ce n’est pas lâcher la barre, laisser les voiles flotter au vent et le bateau partir à la dérive, mais au contraire barrer en mettant le cap vers la destination choisie : celle qu’on sait être la plus souhaitable pour soi-même et pour les autres.

     

    Au cœur de la réalité

    La compréhension dont il s’agit ici consiste en une vision plus claire de la réalité. La méditation n’est pas un moyen d’échapper à la réalité, comme on le lui reproche parfois : elle a au contraire pour but de nous faire voir la réalité telle qu’elle est — au plus près de ce que nous vivons -, de démasquer les causes profondes de la souffrance et de dissiper la confusion mentale qui nous incite à chercher le bonheur là où il ne se trouve pas. Pour parvenir à la juste vision des choses, on médite, par exemple, sur l’interdépendance de tous les phénomènes, sur leur caractère transitoire et sur la non-existence de l’ego perçu comme une entité solide et autonome à laquelle on s’identifie.

    Ces méditations s’appuient également sur l’expé­rience acquise par des générations de contemplatifs qui ont consacré leur vie à observer les mécanismes de la pensée et la nature de la conscience, et qui ont ensuite enseigné un grand nombre de méthodes empiriques permettant de développer la clarté mentale, la vigilance, la liberté intérieure, ou encore l’amour et la compassion. Il est néanmoins indispen­sable de constater par soi-même la valeur de ces méthodes et de vérifier la validité des conclusions auxquelles ces sages sont parvenus. Cette vérification n’est pas une simple démarche intellectuelle : il faut redécouvrir ces conclusions puis les intégrer au plus profond de soi par un long processus de familiari­sation. Cette démarche doit faire appel à la détermi­nation, l’enthousiasme et la persévérance, ce que Shantidéva appelle « la joie de faire ce qui est béné­fique ».

    On commence donc par observer et comprendre comment les pensées s’enchaînent et engendrent tout un monde d’émotions, de joies et de souffrances. On pénètre ensuite derrière l’écran des pensées pour appréhender la composante fondamentale de la conscience, la faculté cognitive première, au sein de laquelle toutes les pensées et tous les autres phéno­mènes mentaux surgissent.

     

    Libérer le singe de l’esprit

    Pour mener à bien cette tâche, il faut commencer par calmer son esprit turbulent. On compare l’esprit à un singe captif qui s’agite tant et si bien qu’il s’entrave lui-même et se trouve incapable de défaire ses propres chaînes.

    Du tourbillon des pensées surgissent d’abord les émotions, puis les humeurs et le comportement et, à la longue, les habitudes et les traits de caractère. Tout ce qui se manifeste ainsi spontanément ne produit pas en soi de bons résultats, pas plus que semer des graines à tout vent ne fait pousser de bonnes récoltes. Il faut donc avant tout maîtriser l’esprit, à l’image du paysan qui prépare sa terre pour y jeter des semences. Si l’on considère sincèrement les bienfaits que l’on recueille lorsqu’on fait une nouvelle expérience du monde à chaque instant de son existence,  il ne semble pas excessif de passer ne serait-ce que vingt minutes par jour à mieux connaître son esprit et à l’entraîner.

    Le fruit de la méditation est ce que l’on pourrait appeler une manière d’être optimale ou un bonheur authentique. Ce bonheur-là n’est pas constitué d’une succession de sensations et d’émotions plaisantes. C’est le sentiment profond d’avoir réalisé de la meil­leure des façons le potentiel de connaissance et d’accomplissement qui se trouve en soi. L’aventure en vaut la peine.

     

     

     

    textes : extraits de « L’art de la méditation » de Matthieu Ricard, aux éditions Nil – wikipedia sur Matthieu Ricard : ici

    photos : Noël, dans des temples bouddhistes de Bangkok, en Thaïlande.

     

  • Nous sommes tous des fleurs de la Bertais

     

    Voici un florilège de fleurs d’été de la Bertais à la sauce Instagram. Instagram est un logiciel de traitement de photos à la mode Polaroid des années 60, 70, 80… (un format carré, avec une bordure d’encadrement sombre ou claire, et une palette de couleurs très fluctuante) et de partage de ces photos à la mode « réseaux sociaux ». Il est utilisé sur les smartphones Apple ou Android. Les smartphones sont les téléphones mobiles de dernière génération qui ont des capacités de micro-ordinateur, d’appareil photo et un accès à internet. En quelques secondes, vos photos peuvent être partagées avec votre famille, vos amis ou de parfaits inconnus à l’autre bout de la planète. J’ai choisi un traitement d’image qui vivifie les couleurs pour compenser la grisaille du jour où j’ai pris les photos. Ces photos de fleurs sont le produit de la nature et de techniques électroniques et informatiques de pointe.

    Les appareils photo numériques et les logiciels de retouche de photo réactivent certains questionnements qui existent probablement depuis la création de la photographie et ensuite au fil de ses évolutions : Qu’est-ce qui est le plus important ? La prise de vue et la composition initiale ? Ou le tirage et le traitement de l’image ? Peut-on retoucher, recadrer, manipuler la photo comme on le souhaite ? Est-ce que finalement tout le monde peut devenir photographe ? etc…  Deux photographes renommés que j’apprécie beaucoup sont aux extrêmes opposées de la palette des possibles. Henri Cartier-Bresson (1908-2004) était connu pour ne recadrer aucune de ses photos. Man Ray (1890-1976), très proche des surréalistes, recadrait, retouchait, bidouillait autant que faire se peut ses photos.

    Le partage sur les réseaux sociaux soulève aussi de nombreuses questions. Des questions sur l’intimité, la relation, le rapport au temps, le réel et le virtuel, etc…

    Que de bonnes questions pour moi autour de la photographie ! Surtout dans le cadre de mon cheminement et ma mise en pratique. Pourquoi je photographie ? Comment je photographie ? Qu’est-ce que je photographie ? Des fleurs ? Des paysages ? Ma femme ? Mes enfants ? Mes petits-fils par alliance ? Des humains ou des objets ? A qui je les montre ces photos ? Pourquoi ? Pourquoi particulièrement cette photo ? Quel est l’impact sur moi des photos des autres ? Pourquoi m’intéressent-elles ? Pourquoi cette photo plus que les autres ? Et ces vieilles ou moins vieilles photos de famille que je retrouve dans une boite, dans un tiroir, que me montrent-elles ? Que m’apprennent-elles ? Qui est sur cette photo ? Mon grand-père ? Pourquoi mon père a-t-il gardé ces photos ? Ou bien pourquoi mon oncle paternel a-t-il détruit ses photos familiales ? Et cette photo avec ma mère, pourquoi me bouleverse-t-elle ? Etc…

    Et pour accompagner ces productions à la fois naturelles et humaines, mais un peu « techniques », voici quelques productions qui le sont beaucoup moins, un peu de poésie minimaliste, quelque haïkus intemporels, extraits du livre « Haïku – Anthologie du poème court japonais » (nfr – Poésie/Gallimard). Ce livre est découpé en quatre parties qui sont les quatre saisons. En effets, les haïkus sont traditionnellement rattachés à une ambiance et un vocabulaire de saison. J’ai choisi des haïkus de la partie « été ».

    Thich Nhat Hanh nous dit : « Dans la tradition zen, la poésie et la médi­tation sont inséparables. La poésie est faîte d’images et de musique, et les images facilitent la méditation. »  -ici-
    Alors goûtons ensemble ces images et ces mots dans une méditation estivale !
    Soyons toutes et tous de merveilleuses fleurs de la Bertais !

     

    elle s’ouvre

    et crache un arc en ciel 

    la pivoine

     

    Yosa Buson

     

     

     

    l’averse d’été

    tambourine

    sur la tête des carpes

     

    Masaoka Shiki

     

     

     

    d’un sourire

    le Bouddha montre

    un moucheron qui pète

     

    Kobayashi Issa

     

     

     

    herbes folles de l’été

    où frémit encore

    le rêve des guerriers !

     

    Matsuo Bashô

     

     

    le paradis ?

    une femme

    un lotus rouge

     

    Masaoka Shiki

     

     

     

    du coeur des belles-de-nuit

    émerge

    le maître

     

    Miura Chora

     

     

     

    le monde va bien

    une autre mouche

    se pose sur le riz

     

    Kobayashi Issa

     

     

     

    bruine de juin

    le sentier

    s’est évanoui !

     

    Yosa Buson

     

  • L’art de la méditation – Matthieu Ricard – 1

     
    Voici, dans deux articles, quelques extraits du livre « L’art de la méditation » de Matthieu Ricard, que je viens de lire récemment. Au delà d’un guide de méditation, cela me semble être tout simplement un excellent guide de mise en pratique au quotidien, très pragmatique et assez facile d’accès.
     

     

    QUELQUES RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES

    II est essentiel de maintenir la continuité de la méditation, jour après jour, car c’est ainsi que celle-ci prendra peu à peu de l’ampleur et gagnera en stabilité, comme un filet d’eau qui se transforme gra­duellement en ruisseau puis en fleuve.

    On lit dans les textes qu’il vaut mieux méditer régulièrement et de façon répétée pendant de courtes périodes de temps que d’effectuer de temps à autre de longues séances. Nous pouvons, par exemple, consacrer vingt minutes chaque jour à la méditation et profiter des pauses dans nos activités pour raviver, ne serait-ce que quelques minutes, l’expérience que nous aurons acquise durant notre pratique formelle. Ces courtes périodes auront davantage de chances d’être de bonne qualité et elles entretiendront un sentiment de continuité dans notre pratique. Pour qu’une plante pousse bien, il faut l’arroser un peu chaque jour. Si l’on se contente de verser sur elle un grand seau d’eau une fois par mois, elle mourra probablement de sécheresse entre deux arrosages. Il en va de même pour la méditation. Ce qui n’empêche pas d’y consacrer parfois davantage de temps.

    Si nous méditons de façon trop discontinue, pendant les intervalles sans méditation nous revien­drons à nos vieilles habitudes et retomberons sous l’emprise des émotions négatives, sans avoir la possi­bilité de recourir au soutien de la méditation. À l’inverse, si nous méditons souvent, même de façon brève, il nous sera possible de prolonger, entre les séances formelles, une certaine part de notre expé­rience méditative.

    On dit aussi que l’assiduité ne doit pas dépendre de l’humeur du moment. Que notre séance de médi­tation soit plaisante ou ennuyeuse, facile ou difficile, l’important est de persévérer. C’est d’ailleurs lors­qu’on ne se sent pas très enclin à méditer que la pratique est généralement la plus profitable, car elle s’attaque directement à ce qui, en nous, fait obstacle au progrès spirituel.

    Comme nous le verrons plus en détail, nous devons également équilibrer nos efforts, de sorte que nous ne soyons ni trop tendus ni trop relâchés. Le Bouddha avait un disciple qui était un grand joueur de vina, un instrument à cordes proche du sitar. Ce disciple avait beaucoup de mal à méditer et en fit part au Bouddha : « Parfois, je fais des efforts déme­surés pour être concentré et je suis alors beaucoup trop tendu. D’autres fois, j’essaie de me détendre, mais alors je me relâche trop et sombre dans la torpeur. Comment faire ? » En guise de réponse, le Bouddha lui posa une question : « Lorsque tu accordes ton instrument, quelle tension donnes-tu à tes cordes pour qu’elles émettent le meilleur son ? – Elles doivent être ni trop tendues ni trop relâ­chées », répondit le musicien. Le Bouddha conclut : « II en va de même pour la méditation : pour qu’elle progresse harmonieusement, il faut trouver un juste équilibre entre effort et relâchement. »

    Il est également conseillé de ne pas accorder d’importance aux diverses expériences intérieures qui peuvent surgir au cours de la méditation sous la forme, par exemple, de félicité, de clarté intérieure, ou d’absence de pensées. Ces expériences sont comparables aux paysages que l’on voit défiler lors­qu’on est assis dans un train. Nous n’aurions pas l’idée de descendre du train chaque fois qu’une scène nous semble intéressante, car l’important, c’est d’atteindre notre destination finale. Dans le cas de la méditation, notre but est de nous transformer nous-mêmes au fil des mois et des années. Ces progrès sont en général à peine perceptibles d’un jour à l’autre, à l’image des aiguilles d’une horloge qui semblent ne pas bouger lorsqu’on les regarde fixement. Nous devons donc être diligents, mais pas impatients. La précipitation s’accorde mal avec la méditation, car toute transformation profonde exige du temps.

    Peu importe que le chemin soit long, il ne sert à rien de se fixer une date limite, l’essentiel étant de savoir que l’on va dans la bonne direction. En outre, le progrès spirituel n’est pas une affaire de « tout ou rien ». Chaque pas, chaque étape, apporte son lot de satisfaction et contribue à l’épanouissement intérieur.

    Pour résumer, ce qui compte, ce n’est pas de faire de temps à autre quelques expériences éphémères, mais de voir, au bout de plusieurs mois ou de plu­sieurs années de pratique, que l’on a changé de façon durable et profonde.

     

     

    Sources d’inspiration

     

    « Tout en voulant lui échapper,

    Nous nous jetons dans la souffrance ;

    Nous aspirons au bonheur mais, par ignorance,

    Le détruisons comme s’il était notre ennemi. »

                                                           Shantidéva

     

    « En courant toute sa vie après des buts mondains — le plaisir, le gain, les louanges, la renommée, etc. — on gaspille son temps, tel un pêcheur qui jetterait ses filets dans une rivière à sec. Ne l’oubliez pas et veillez à ce que votre vie ne s’épuise pas en vaines poursuites. »

                                                           Dilgo Khyentsé Rinpotché

     

    « Lorsque vous entendez un son pendant la médi­tation, portez simplement votre attention sur l’expé­rience d’entendre. Cela et rien que cela […] Pas de cinéma mental. Pas de concept. Pas de dialogue inté­rieur sur le sujet. Simplement des bruits. La réalité est d’une élégance simple et sans fioritures. Lorsque vous entendrez un son, soyez attentif au processus d’entendre. Tout le reste est du bavardage surajouté. Laissez-le tomber. »

                                                          Bhante Henepola Gunaratna

     

     

    La marche attentive

    Voici une méthode pratiquée par nombre de méditants pour cultiver la pleine conscience. Elle consiste à marcher en restant totalement concentré sur chaque pas. Il faut marcher assez lentement pour que nous restions plei­nement conscients de nos moindres mouvements, mais pas au point de perdre l’équilibre. À chaque pas, prenons conscience de notre équilibre, de la façon dont nous posons le talon au sol, puis progressivement l’ensemble du pied, et comment l’autre pied décolle du sol pour aller se poser un peu plus loin. Dirigeons notre regard vers le bas, à quelque pas devant nous, et gardons pour principal objet de concentration la marche elle-même. Si nous ne disposons pas de beaucoup d’espace, allons et venons en marquant une pause de quelques instants chaque fois que nous faisons demi-tour, tout en demeurant dans îa pleine conscience de cette suspension du mouvement. Nous pouvons aussi combiner la marche attentive avec la pleine conscience de tout ce que nous rencontrons, voyons, entendons et ressentons, comme il est expliqué ci-dessous.

    Source d’inspiration

    « Marcher pour le simple plaisir de marcher, librement et avec assurance, sans se presser. On est présent à chaque pas que l’on effectue. Si l’on veut parler, on s’arrête de marcher et on accorde toute son attention à la personne qui se trouve devant soi, au fait de parler et d’écouter… Arrêtons-nous, regardons autour de nous et voyons comme la vie est belle : les arbres, les nuages blancs et l’infinité du ciel. Ecoutez les oiseaux, goûtez la légèreté de la brise. Marchons comme des êtres libres et sentons nos pas s’alléger au fur et à mesure que nous marchons. Apprécions chaque pas que nous faisons. »

    Thich Nhat Hanh

     

     

    textes : extraits du livre « L’art de la méditation » de Matthieu Ricard, aux éditions Nil – wikipedia sur Matthieu Ricard : ici

    photos : Noël – le grand Bouddha couché du Wat Pho, à Bangkok, en Thaïlande.

     

  • On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve

    http://avventura.blogs.liberation.fr/.a/6a016302ca19da970d0168ebf23a04970c-pi
    Tout passe mep 2
    Tout passe mep 3
    Tout passe mep 4
    Tout passe mep 5
    Tout passe mep 6

     

    extrait d’un blog du journal Libération : ici – L’AVVENTURA ou La vie d’une italienne à Paris

     

  • Nous sommes tous des fleurs – Thich Nhat Hanh

     


    Dans la tradition zen, la poésie et la médi­tation sont inséparables. La poésie est faîte d’images et de musique, et les images facilitent la méditation. Voici un exercice qui nous aide à pratiquer la pleine conscience. Beaucoup de mes amis le trouvent efficace et très beau :

     

    J’inspire, et je sais que j’inspire.

    J’expire, et je sais que j’expire.

    Dedans/Dehors.

     

    J’inspire, et je suis la fleur.

    J’expire, j’en ai la fraîcheur.

    Fleur/Fraîcheur.

     

    J’inspire, et je me vois montagne.

    J’expire, et je me sens solide.

    Montagne/Solide

     

    J’inspire, et je me vois eau calme.

    J’expire, en moi les choses se reflètent telles qu’elles sont.

    Eau/Refléter.

     

    J’inspire, et je me vois espace.

    J’expire, et je me sens libre.

    Espace/Libre.

     

     

    Que nous soyons enfants ou adultes, nous sommes tous de merveilleuses fleurs. Quand nos yeux sont fermés, nos cils sont semblables aux pétales des roses. Nos oreilles sont comme des belles-de-jour écoutant le chant des oiseaux. Chacun de nos sourires transforme nos lèvres en une fleur. Nos mains sont des lotus à cinq pétales… Le but de cette méditation est de garder cette « florescence » vivante en nous, pour notre bonheur et celui de tous.

     

     

    texte : extrait du chapitre 2 « Nous sommes tous des fleurs » dans « La plénitude de l’instant » de Thich Naht Hanh  (édition Les petits collectors marabout) – Wikipédia sur Thich Naht Hanh : ici

    photos : Noël – fleurs de lotus à Bangkok et sur l’île de Ko Chang, en Thaïlande

     

  • Swâmi Prajnânpad et les lyings – 2 – Eric Edelmann

    Voici de nouveau quelques extraits de l’ouvrage « Swâmi Prajnânpad et les lyings », mais cette fois-ci issus de la première partie du livre, celle écrite par Eric Edelmann.

     

    SE CONFRONTER CHARNELLEMENT AUX LOIS DU CHANGEMENT ET DE LA DIFFÉRENCE

    Par ailleurs, le lying nous amène à découvrir que la souf­france provient d’un refus, sous un aspect ou un autre, des deux grandes lois de l’existence telles que les formulait Swâmi Prajnânpad : la loi du changement et la loi de la différence. Ces deux lois sont un véritable défi lancé à l’ego car l’ego cherche toujours à se perpétuer dans la fixité et la recherche de la similitude — l’alter ego. En explorant notre histoire par­ticulière, on finit par se rendre compte qu’elle n’est qu’une illustration circonstanciée de ces deux lois. Si l’on examine de près chaque événement douloureux de notre existence, on découvre qu’il est relié à un refus. Le lying nous confronte pour ainsi dire dans notre propre chair et sans échappatoire possible aux règles du jeu de la vie elle-même, là où la souf­france en son point d’origine a quelque chose d’universel.

    Cependant, l’expérience du lying peut nous amener aussi au point où l’on commence à remettre en cause l’identification au corps physique. C’est en tant qu’individu, c’est-à-dire en tant que conscience identifiée au corps que la souffrance est engendrée. L’expression de la souffrance en tant qu’énergie pure n’a donc que peu d’intérêt si elle ne débouche pas sur une investigation plus poussée de cette identification pre­mière. On voit comment, sur la base de l’identification, le mental nous ballotte dans le jeu des dualités, l’attraction et la répulsion, le bonheur et le malheur, l’union et la sépara­tion, etc. Ce que nous avons lu dans les ouvrages de méta­physique ou de spiritualité prend un vrai relief car les paires d’opposés ne sont plus des principes philosophiques abstraits mais deviennent, par le lying, des déchirements existentiels consciemment assumés et dépassés.

    […]

    LA « DÉGUSTATION » DE CE QUI EST

    Une parole-clé de Swâmiji « Non pas : je regarde l’arbre mais l’arbre est regardé » peut être appliquée dans le lying sous la forme : « Non pas : je ressens une émotion mais une émotion est ressentie. » Le «je» a disparu pour laisser la place à la Conscience qui goûte. On retrouve ici le thème important de l’appréciation consciente, le fait de savourer lucidement. Il est intéressant de relever le rapport de cette Conscience qui goûte à la sagesse. Nietzsche, qui a été philologue avant d’être philosophe, écrit dans La Naissance de la tragédie que « le mot grec qui désigne le sage est lié étymologiquement à sapio, je goûte, sapiens, le dégustateur, Sisyphos, l’homme au goût extrêmement subtil ». On parle par exemple des textes sapientiaux de la Bible. Sophia, la sagesse correspond à prajna en sanscrit. Le lying est, en un sens, une expérience de dégustation qui ne vient pas du moi habituel — il en est incapable — mais de notre sagesse intrinsèque, de cette « conscience axiale » (Godel) inaffectée, paisible et lumi­neuse. Le lying nous conduit à cette belle expression de Swâmiji : « C’est l’aube de l’âtma ».

    Certes, l’expérience d’une vigilance impersonnelle et d’une paix qui embrasse les contraires n’est pas encore la Réalisation. Elle nous en donne cependant un aperçu en nous permet­tant de jeter un coup d’œil dans les coulisses de la manifes­tation. Elle nous permet aussi de renforcer notre confiance en l’enseignement car elle nous fait toucher du doigt la pos­sibilité d’une compréhension libératrice.

    Une des grandes leçons du lying est de nous montrer expé­rimentalement que l’on a toujours vécu la souffrance sur un fond de malentendu. Le lying ne nous dit pas de vivre la souffrance d’une autre manière, il nous fait découvrir qu’on ne l’a jamais vécue et il nous invite à la vivre réellement. « La souffrance, a dit Nisargadatta Maharaj, est entièrement due à l’attachement et aux résistances, elle est le signe de notre refus d’évoluer, de couler avec la vie. » Si l’on est transparent à l’émotion, la vie retrouve sa fluidité en nous. Épouser l’émo­tion, « être émotion » signifie se laisser traverser par sa nature fondamentale qui est énergie. Cette perception non-duelle correspond à l’instruction de Swâmiji : « Annihilez la dis­tinction entre vous et votre émotion. » Dans une lettre adres­sée à Arnaud, Swâmiji revient sur ce point capital qui peut tout aussi bien concerner le lying : « En acceptant l’émotion en tant qu’émotion (sans ce conflit « favorable » ou « défavo­rable ») vous devenez l’émotion, vous êtes la peur, vous êtes la tristesse, vous êtes la joie (you are fear, you are sadness, you are joy), etc. L’opposition ou la contradiction des opposés (joie-peine, amour-haine, etc.) disparaît d’elle-même et la neutralité souveraine s’établit ! La dualité disparaît et l’unité est établie : paix, paix, paix. » (Swâmi Prajnânpad : Collected Letters, I, pages 93-94. Lettre du 31 janvier 1967.) Cette conscience paisible nous imprègne en quelque sorte par capil­larité et nous n’y avons généralement pas accès. Seul l’aban­don des prérogatives du moi, la non-résistance et la récon­ciliation dégagent l’horizon et laissent transparaître cette autre dimension.

    […]

    LE LYING EST UN ACTE D’AMOUR

    On a vu que le lying était un acte de sagesse. C’est un acte sacré et aussi un acte d’amour. De la même façon que le « oui » annonce le mariage d’amour, le lying est fondé sur le consentement, l’acquiescement. Par une analogie auda­cieuse Denise Desjardins a pu définir un jour le lying comme étant « l’orgasme du mental ». Le lying se caractérise par la spontanéité et un débordement de l’énergie. L’absence de contrôle qui permet l’emportement délibéré n’empêche pas pour autant d’être dans l’instant – bien au contraire. Cette présence à l’instant comporte une félicité qui lui est propre (elle ne relève évidemment pas d’un plaisir sensuel mais d’une conformité avec le réel qui fait éclater provisoirement le monde des pensées).

    Si le lying doit être mené au nom de la sagesse et dans une atmosphère de sacré et d’amour, il en est bien évidemment de même pour l’entretien qui vient encadrer et compléter le lying. Le lying à lui seul – même s’il est accompli jusqu’au bout de ses possibilités – ne peut suffire. Il est important de revenir sur son contenu, de le resituer non seulement par rapport à l’ensemble de nos constructions mentales mais aussi par rapport à la voie elle-même.

    La qualité subtile qui sous-tend la démarche conjointe du lying et de l’entretien est essentielle. Si Swâmi Prajnânpad ou Arnaud Desjardins ont pu entrer dans le détail des difficultés psychologiques et existentielles de ceux qui venaient les voir, il me paraît nécessaire d’insister encore une fois sur ce qui est insufflé à l’occasion de tels échanges. En effet, la seule résolution au coup par coup de situations conflictuelles ne peut aucunement constituer un chemin total menant à l’éveil.

    Dans un langage qui lui est propre, Yvan Amar aborde cet aspect délicat et nous permet d’entrevoir où se situe le véri­table enjeu derrière l’examen détaillé de nos difficultés per­sonnelles. « Si la dénonciation du faux nous a été transmise par quelqu’un qui est lui-même imprégné de cette conscience, qui baigne dans cette conscience du réel, sa dénonciation du faux, automatiquement, n’est pas limitée à la simple mise en évidence des mécanismes à l’origine de vos conflits et de vos souffrances. Il n’est pas une simple ambition analytique ou psychanalytique. Son procédé est directement issu de la conscience d’éveil. Ainsi, il nous transmet, en même temps que l’esprit d’exploration des mécanismes du faux, l’arrière-fond dans lequel il baigne lui-même. » (Rencontre avec Yvan Amar, Paris, 29 janvier 1990.)

    Cette toile de fond, ce parfum va alors s’imposer de plus en plus. Il va inspirer et guider la démarche.

    […]

    LE LYING VIENT ÉCLAIRER LA PRATIQUE

    Le lying est une expérience de non-dualité. De ce fait, il est particulièrement précieux pour nous indiquer dans quelle direction il faut orienter notre pratique quotidienne. Ce qui est possible à propos des situations les plus aiguës du passé et des émotions les plus intenses l’est aussi en ce qui concerne les situations les plus anodines et les émotions de moindre intensité.

    Cette expérimentation en laboratoire qu’est le lying est renouvelable dans le présent, mais cette fois au seul niveau intérieur. Elle est applicable à tous les états intérieurs, en toutes conditions et circonstances.

    En nous permettant de découvrir le geste à effectuer, l’at­titude juste à adopter, le lying nous fait expérimenter de façon exemplaire la « texture » même de la pratique.

    Quand on devient plus intime avec soi-même, on arrive tout naturellement à l’autre. Le lying nous permet de voir et de reconnaître, d’une manière profonde, que l’on porte en soi autant l’aspect « victime » que celui de « bourreau ». Lorsque ces deux aspects (qui forment un cycle) sont explo­rés complètement, il devient alors impossible de continuer à voir les autres de la même manière. La réconciliation des éléments contradictoires en nous, l’intégration des polarités — en particulier la polarité amour/haine — amènent sponta­nément à une réunification avec autrui.

    Pour pouvoir être dépassée, cette ambivalence doit être non seulement découverte mais vécue dans toutes les fibres de son être. Lorsque cette dimension émotionnelle est explo­rée à fond, elle laisse apparaître peu à peu une autre fonc­tion du cœur qui est de l’ordre d’un sentiment stable, pro­fond et surtout foncièrement positif.

    L’amour qui pardonne n’est certainement pas un simple raisonnement du genre : « Il (ou elle) ne pouvait faire autre­ment. » Cette attitude superficielle se présente comme une compréhension de l’autre mais n’est bien souvent qu’une ten­tative de se conformer à une morale extérieure pour se donner bonne conscience, pour tenter d’échapper à la culpabilité ou encore étouffer des émotions négatives non résolues. En vérité, le véritable pardon apparaît quand on ressent qu’il n’y a plus personne à pardonner — ou plus personne qui doive pardonner.

    Enfin, l’exploration profonde des causes de notre propre souffrance nous fait réaliser notre appartenance à la condi­tion humaine. À son retour d’un voyage dans l’espace, un cosmonaute avait remarqué que ce qui l’avait le plus frappé c’était que, vue du ciel, la terre ne comportait aucune fron­tière visible. C’est une question de perspective. Si le soi n’a pas de frontières, on peut dire qu’en un sens et à un tout autre niveau, la souffrance non plus car toute souffrance relève du même « corps subtil universel ».

    Chacun a son propre chemin et il est toujours à cet égard erroné de faire des comparaisons. En définitive, la situation ne se résume pas en termes de faire ou de ne pas faire de lyings. Elle se pose en termes de pratique ou de non-pra­tique de la voie.

    Certains ont fait des lyings, d’autres non. Certains feront des lyings, d’autres n’en feront pas. Cela n’a aucune impor­tance. En revanche, ce qui compte, c’est de se souvenir de cette parole de Nisargadatta Maharaj : « Le mental crée l’abîme, le cœur le traverse. »

     

    extraits du livre « Swâmi Prajnânpad et les lyings » aux Editions de La Table Ronde – 2000,

    dans le chapitre « Le point de vue du philosophe » par Eric Edelmann

  • Swâmi Prajnânpad et les lyings – 1 – Christophe Massin


          Puisque nous avons la chance de pouvoir faire des lyings à la Bertais avec Yann et Anne-Marie, puisque Christophe et Murielle Massin sont venus nous voir récemment, et que nous allons bientôt recevoir Eric Edelmann, voici un extrait du livre « Swâmi Prajnânpad et les lyings ». Dans la partie  écrite par Christophe Massin, j’ai retenu un extrait sur les spécificités du lying, qui décrit aussi très bien les spécificités de l’enseignement de Swâmiji et d’Arnaud. Je vous conseille la lecture de l’ensemble de ce livre, car les parties d’Eric Edelman et d’Olivier Humbert sont aussi très intéressantes… 

     

                                  SPECIFICITE DU LYING

    « Swâmiji n’est pas un psychanalyste pour des patients. »(¹)  Parmi la grande variété des approches thérapeutiques actuelles, le lying est plus fréquemment assimilé à une thérapie du mouvement transpersonnel ou bien à une thérapie émotionnelle. Posons déjà que, ni pour Swâmi Prajnânpad et ses disciples, ni pour les praticiens, le lying n’est une thérapie même s’il en présente bien des éléments. Une thérapie a pour finalité de résoudre des difficultés existentielles, alors que le lying, par son rattachement à une démarche de liberté inconditionnelle, ne vise qu’à faire disparaître le refus de la réalité, que ces dysfonctionnements subsistent ou non. Par là même, l’enseignement de Swâmi Prajnânpad met également en cause l’émotion puisqu’elle est imprégnée de refus. Un point de vue aussi inhabituel ne manque pas de soulever des réactions : « Une vie sans émotion, quelle tristesse… C’est devenir un mort-vivant. » En fait, dans le lying, il s’agit seulement de purifier l’émotion des réactions de refus qui l’amplifient, pour ouvrir le cœur à la réalité. On est touché, sensible, mais délivré de la tension du refus. Les lyings vont donc viser la disparition de la dimension négative et douloureuse de nos émotions, pour qu’elles laissent la place au sentiment d’accueil et d’unité.

    LYING ET THÉRAPIE TRANSPERSONNELLE
    Si dans les thérapies transpersonnelles la dimension spirituelle occupe une place centrale, avec la recherche d’états de conscience transpersonnels et la référence au Soi, il manque pourtant l’apport irremplaçable de la relation maître-élève. Il me semble donc indispensable de revenir sur cette particularité sans laquelle l’assimilation du lying à une thérapie transpersonnelle apparaîtrait logique.
    À la différence d’un thérapeute transpersonnel, un maître est supposé avoir dépassé la limitation de son égocentrisme et n’avoir plus rien à prouver sur le plan personnel. De ce fait, il va pouvoir aider l’élève dans l’aspect le plus long, laborieux et difficile du cheminement : l’effacement de l’egocentrisme et la mise en cause radicale des fonctionnements mensongers du « mental (2) », pour devenir libre vis-à-vis de la peur et des limitations personnelles, pour se soumettre à la vie telle qu’elle est, ici et maintenant, pour découvrir la stabilité au cœur du changement.
    Ce travail-là, extrêmement précis et minutieux, où le maître joue le rôle d’un miroir impartial, amène à mettre en lumière les mécanismes les plus subtils de fonctionnement du mental. Il s’agit de prendre celui-ci sur le vif, lorsque refusant la réalité telle qu’elle est, parce qu’elle ne convient pas à l’ego, il l’accommode à sa manière et la voile de ses propres créations. Seule une relation durable et profonde permet de remettre en question, à travers de multiples facettes, ces distorsions tenaces de la réalité, installées dans notre esprit depuis notre prime enfance. Elles sont devenues partie tellement intégrante de notre fonctionnement que nous ne sommes pas plus conscients de leur existence que des conséquences délétères qu’elles induisent. Un maître concentre en lui l’expérience de générations de maîtres qui l’ont précédé et ont guidé des générations de disciples. Un corpus de savoir quant à ces multiples pièges et difficultés à déjouer s’est ainsi constitué dans cette lignée (les pièges les plus habituels consistent à prendre des états d’âmes intenses pour des états spirituels, à se croire « arrivé », à « récupérer » des expériences spirituelles et se les approprier ; etc.).
    Cette richesse dépasse largement le charisme personnel d’un maître isolé ou d’un thérapeute, aussi génial soit-il. L’exception d’autodidactes ne contredit pas la règle. En outre, indissociable de cette destruction patiente de la prison mentale, est la relation d’amour unissant maître et disciple. Elle fait grandir la confiance et la soif d’abandon qui habitent le cœur du disciple, car il ressent le maître situé au-delà du jugement, dans un accueil inconditionnel… Le fait d’être relié, à travers le maître, à une réalité qui le dépasse, appelle en miroir chez le disciple un sentiment impersonnel illimité.
    Ainsi, le disciple qui fait un lying, se relie non seulement à celui qui l’accompagne, mais à Arnaud ; et par Arnaud, il se relie à Swâmi Prajnânpad et aux grands maîtres de l’hindouisme contemporain et par-delà Swâmiji, à la lignée de ses prédécesseurs et de leurs élèves qui se perd dans le passé — l’énergie d’une tradition vivante qui a connu fécondité, errances, controverses et renouveau.
    Au-delà de ce plan humain, un disciple peut percevoir la relation de son maître avec la Transcendance et avoir sous les yeux un exemple vivant de lâcher-prise et d’ouverture. En effet le maître n’est pas un modèle en lui-même, avec le danger d’imitation et de dépendance que comporte toujours une figure charismatique. Etre humain avec son imperfection, il n’est pas le but à atteindre – sa position de disciple dans la lignée est là pour le rappeler. Le modèle d’une exigence de vérité, qui ne cède pas à la soif de pouvoir et d’autosatisfaction, invite plutôt le disciple à suivre son exemple tout en respectant authentiquement sa propre différence. Pour celui qui se trouve en position d’accompagner d’autres en lying, la référence à ces deux plans joue un rôle fondamental :
    –    la conscience de représenter un simple maillon d’une chaîne qui par Arnaud le relie à la communauté présente et passée des maîtres et disciples de cette lignée ;
    –    et l’intuition de la Réalité intemporelle que tous ces hommes ont cherchée et tenté de transmettre.
    À l’inverse de tout sectarisme, le praticien du lying a donc le sentiment d’être au service de cette recherche de la vérité – ce qui est, ici et maintenant, tel que c’est, sans déformation — sans idée de concurrence ou de rivalité avec d’autres lignées et d’autres traditions, dont l’existence contribue au contraire à élargir son horizon. Il sait donc que des changements sont possibles sur le plan psychologique : le moi peut fonctionner plus harmonieusement et il œuvrera sincèrement pour que ceux qu’il aide réalisent ces changements. Mais la grande transformation interviendra lorsque ces personnes commenceront à découvrir que le véritable obstacle réside dans l’attachement rigide au monde de leurs préférences et de leurs répulsions.

    LYING ET THERAPIE EMOTIONNELLE
    À première vue, lorsqu’on compare le lying à une thérapie émotionnelle comme la thérapie primale d’Arthur Janov, on a l’impression de parler de la même démarche. Il s’agit d’aller chercher au cœur de nous-mêmes la souffrance primordiale la plus aiguë, de nous laisser consciemment submerger par elle sans aucunement nous protéger, afin de comprendre, avec tout notre être et dans toutes les fibres de notre corps, ce qui nous a amenés à nous fermer et à construire des stratégies défensives coûteuses. On retrouve alors la simplicité et l’ouverture de l’enfant et un fonctionnement plus spontané. L’individu, en se libérant de ses conditionnements infantiles, développe toute sa dimension d’adulte, mais un adulte bien vivant, relié à une richesse affective qui prend racine dans ses origines enfantines.
    Pour le lying, ce but déjà ambitieux et difficile à atteindre ne représente pas l’aboutissement mais plutôt une étape essentielle, indispensable :
    « Vous ne pouvez pas sauter de l’anormal au supranormal ! »
    La tradition hindoue, avec les quatre grandes étapes de la vie (les quatre ashramas (3)), propose explicitement un modèle qui comporte l’accomplissement humain avant le détachement de la sagesse.
    D’abord à l’état de germe, puis de manière toujours plus prégnante avec le temps, le constat qu’un moi épanoui ne saurait conduire à un bonheur non dépendant des circonstances favorables et défavorables fait son chemin. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’une proportion de personnes ayant suivi une thérapie primale (ou analogue) a été spontanément conduite à une recherche spirituelle. À mon sens cela provient de l’absence de barrière, naturelle chez l’enfant, vis-à-vis de la transcendance : retrouver par une thérapie émotionnelle l’enfant libre, c’est retrouver aussi son sens du sacré.
    En observant combien le refus lié à des émotions fondamentales crée la souffrance et la complication, on découvre que le refus est inhérent à l’ego : il veut ce qu’il aime et rejette ce qu’il n’aime pas. Et comme l’a si éloquemment exprimé le Bouddha : être associé à ce qu’on n’aime pas est souffrance, être séparé (ou risquer de l’être) de ce qu’on aime est souffrance. Ce que le lying nous montre de manière éclatante — le refus de l’émotion et le refus du fait tel qu’il est conduisent immédiatement à une souffrance sans fin – peut se transposer dans tous les instants du quotidien. Du matin au soir, nous opposons à la réalité d’incessants refus qui sembleraient à première vue insignifiants (et passent ainsi inaperçus). En fait, ces refus tissent une véritable camisole qui nous limite, nous enferme et surtout nous sépare de ce qui nous entoure – les autres, la vie, et notre profondeur. Nous attendons que l’autre ou la vie correspondent à nos exigences. La fin du refus et donc de l’attente permet au sentiment d’unité de se manifester. C’est cette mise en cause radicale de tout refus qui distingue le lying d’une thérapie émotionnelle, donc une différence de finalité. Récuser le refus équivaut à saper les bases mêmes de l’égocentrisme. « L’essence de l’individualité est la non-acceptation, la résistance au changement dans le temps et dans l’espace, pour assurer la continuité de l’état où l’on est et la domination sur les autres. »
    Enfin comme le lying n’est ni une école, ni un corpus de théories psycho-dynamiques, mais simplement un instrument au service d’un but plus vaste, cela le protège de devenir un absolu en soi : « la » méthode hors de laquelle il n’existerait point de salut ou un système d’interprétation avec ses risques de réduction ou encore la « géniale » création d’un non moins génial penseur dont les écrits deviennent une bible avec les risques d’intolérance d’une orthodoxie.
    Cette position relativisée du lying donne à ceux qui le pratiquent une grande souplesse et liberté. Si un autre outil s’avérait plus efficace pour faciliter la démarche spirituelle, il remplacerait le lying à la simple condition qu’il reste fidèle à l’esprit gouvernant cette démarche. Le pragmatisme dont Swâmi Prajnânpad avait fait preuve, entre les deux guerres, en intégrant au Vedanta hindou des concepts de la psychanalyse freudienne, l’illustre de manière exemplaire. Qu’est-ce qui peut aider réellement l’élève à dépasser ses blocages ? Le dogme ne doit jamais prendre le pas sur la personne et son ressenti : « Svjâmiji aide à voir parce qu’un aspect des choses a été oublié. Il le met en lumière… mais pas de dogme, rien de la sorte. Swâmiji n’a pas de méthode : la méthode apparaît seulement en fonction de chaque personne. Il n’y a pas d’enseignement de Swâmiji, l’enseignement se crée suivant l’autre. »
    La comparaison avec les thérapies transpersonnelles et émotionnelles éclaire la spécificité du lying qui, tout en partageant bien des points communs avec ces approches, ne peut se ramener à aucune d’elles. Le cadre traditionnel de la relation maître-disciple, la primauté de l’intention sur la technique et la nature même de cette intention représentent en effet des particularités majeures du lying.

    1. Dans le texte, toutes les citations en italique et entre guillemets sont de Swâmi Prajnânpad.
    2. « Mental » (mind) ou « penser » (thinking), dans le langage de Swâmi Prajnânpad, désignent ce fonctionnement du psychisme qui nie la réalité et plaque sur celle-ci une réalité imaginaire.
    3. L’étape de l’étude, l’étape du désir et de la réalisation sociale, l’étape du retrait et l’étape du renoncement définitif.

  • Secrets de longévité

    Dans la revue Psychologies Magazine d’avril 2012, voici les secrets de longévité de Denise, ainsi que de deux autres femmes de plus de 80 ans.

  • haïku – une libération

     

    après la tempête

    la colère abandonnée

    mon coeur est lavé

     

  • Denise Desjardins-Chesnay, peintre.

     

    Le cimetière d’El-Kettar

    ou

    Une discipline de vision impartiale

         « Ces choses sont « ce qui est » et, dans un sens, elles sont toutes identiques : ce sont toutes des formes, ce sont toutes des objets, elles sont juste ce qui est. Les valeurs attachées à elles sont seulement créées plus tard dans nos esprits. Si nous regardons réellement ces choses telles qu’elles sont, ce ne sont que des formes. » CHÔGYAM   TRUNGPA.

          Du temps où j’apprenais à peindre — autour de mes quatorze ans — et c’était à Alger, notre professeur emmenait parfois ses élèves dont j’étais, le dimanche matin, peindre « sur le motif » comme il disait. Un jour, ce fut au cimetière musulman d’El-Kettar qu’il choisit de nous conduire. Un lieu paisible, solitaire, où les tombes s’ombrageaient de grands eucalyptus. Le soleil était là, pas encore celui de l’été brûlant. La lumière pour une fois légèrement tamisée de nuages inoffensifs rendait chaque teinte plus vibrante et permettait une vision claire des choses, alors filtrées de l’éclat solaire trop ardent qui d’habitude blanchissait les couleurs et aveuglait les yeux. Circonstances exceptionnelles, lieu d’un charme méditatif où sûrement jamais n’avaient éclaté les conflits, les vociférations, mais qui, au con­traire et depuis de longues années, s’était imprégné de nostalgie, de regret tranquille, de recueillement, peut-être de tristesse non agressive. Bref, cette atmos­phère sans doute saturée de prières, de renoncement et de résignation à un destin inéluctable ou à la volonté toute-puissante d’Allah, incitait non au bouleversement des passions mais à leur apaisement et se prêtait magni­fiquement à la tentative d’une création.

    Quant à celui qui souhaite peindre un sujet quel qu’il soit, une fois ce sujet choisi, son attitude intérieure change. Il n’est plus question de j’aime ou je n’aime pas tel élément, mais question de saisir les accords et les tensions des formes et des couleurs entre elles, en somme leur harmonie, pour la recréer sur sa toile. En somme, être sensible au rythme, au rapport des diffé­rents éléments contemplés. Je me souviens combien se développaient non seulement une attention à sa pointe, une concentration aiguë sur le travail, mais une sorte d’ouverture vers l’extérieur qui n’était ni amour, ni sen­timentalité, plutôt une empathie avec les objets autour de soi. Une extrême fixité à la fois sur l’œuvre et sur le sujet du dehors, ce qui suscitait une vision particulière du monde. Tout en tenant compte de la subtile diffé­rence entre les éléments à grouper sur la toile, je ne les voyais pas séparés les uns des autres mais reliés dans un rapport de formes qui me paraissait évident. Chacun des objets était, bien sûr, essentiel, le rythme entre eux l’était encore plus. À forte d’attention quotidienne sur les formes et leur rapport, la préhension du réel change : elle devient neutre. L’objet se dégage de tout jugement, de toute préférence et l’œil qui le perçoit se trouve presque capable d’une vision pure : une percep­tion dépouillée de mots et du cortège de digressions qui suivent habituellement; une perception qui entre en contact direct avec les choses : elles sont juste ce qu’elles sont, sans que transpirent une quelconque signification ou une qualification, aucun ajout. Une vision dont la simplicité ne demande pas d’effort. Elle est ainsi ou elle n’est pas. La concentration est dans sa fonction et ne peut être autre, ni distraite par des juge­ments, ni interrogative sur ce que les objets représen­tent. Leur seule signification est d’être là.

    Voir et non penser, agir plutôt que penser, fixer son attention sur l’acte, ces conseils que l’on trouve dans les enseignements traditionnels me reviennent sur l’instant en mémoire du fait qu’ils s’appliquent avec exactitude à ce mode de fonctionnement. Il se passait alors que le sujet de l’œuvre, tout en restant vision extérieure, s’incorporait à mon être, devenait part de moi. Concen­tration où s’ajoutaient unification et simplification inté­rieure. Pas d’appréciation subjective, pas de désir autre que celui en train de se réaliser dans l’instant, celui d’oeuvrer : une transparence intérieure qui permet le maximum d’attention centrée sur l’ouvrage à accom­plir, sur le fonctionnement présent. La réalité de l’acti­vité intérieure coïncide avec la réalité du paysage exté­rieur. Sans questionnement, sans chercher une quelconque signification, sans effort, simplement, il se crée spontanément et d’instant en instant, un tout entre extérieur et intérieur.

    L’œil collé sur le sujet, l’attention collée sur la main qui travaille, la vision englobant les formes entre elles, telles se nouent sans tension des forces indépendantes, telle prend naissance l’unification, une relation juste entre l’univers du dehors et celui du dedans, tel se veut et s’accomplit l’acte de peindre, un fil d’énergie qui passe entre soi et la réalité du monde phénoménal, une observation attentive des objets qui le composent, sans autre valeur que d’exister irrémédiablement, uniques, simples, tels qu’ils sont. Ce qui est, non ce qui devrait être, ce qui est ici, non ailleurs, ce qui est dans l’instant, non ce qui sera tout à l’heure, quand la lumière aura changé, qu’un vent débridé se sera levé, agitant les branches et changeant le rapport des formes.

    Les cloisons du temps et de l’espace semblaient avoir éclaté, quoique, à ce moment-là, je n’y pensasse aucunement, uniquement occupée à saisir cet ensemble de formes qui, sur l’instant, s’ajustaient à leur façon particulière.

    Aujourd’hui où je revois et revis cette expérience, je me souviens d’un sutra commenté par Chôgyam Trungpa (un Lama tibétain contemporain, remarqua­ble instructeur par la parole et les écrits) sur le vide et la forme, un sutra qui relate un entretien entre Avaloki-teshvara et Shariputra, Shariputra étant un esprit scien­tifique, il représente celui qui n’accepte pas avec une foi aveugle les enseignements du Bouddha mais qui les essaie, les examine, les met en pratique.

    Si abstrait que soit l’énoncé du sutra, il vaut cepen­dant la peine d’être cité avec les explications qu’en donne Chôgyam Trungpa : « Avalokiteshvara dit : Oh, Shariputra, la forme est le vide, le vide est la forme, la forme n’est rien d’autre que le vide et le vide n’est rien d’autre que la forme. » II s’agit d’abord de s’interroger sur la signification du mot « forme ». Qu’est donc la forme dans ce contexte particulier ? Voici la réponse que donne Chôgyam où il insiste sur la nécessité abso­lue d’être vraiment très clair et précis sur le sens donné ici au terme « forme » :

    « La forme est ce qui est avant que nous proje­tions dessus nos concepts. C’est l’état originel de « ce qui est ici », les qualités colorées, vives, impressionnantes, dramatiques, esthétiques qui existent dans toute situation. La forme peut être une feuille d’érable qui tombe d’un arbre et se dépose dans un torrent de montagne ; ce peut être la pleine lune, une flaque dans la rue, ou un tas d’ordures. Ces choses sont « ce qui est » et, dans un sens, elles sont toutes identiques : ce sont toutes des formes, ce sont toutes des objets, elles sont juste ce qui est. Les valeurs attachées à elles sont seulement créées plus tard dans nos esprits. Si nous regardons réellement ces choses telles qu’elles sont, ce ne sont que des formes.» Ainsi la forme est vide. Mais vide de quoi ? La forme est vide de nos idées préconçues, de nos jugements. Si nous n’évaluons ni ne catégorisons la feuille d’érable qui tombe et se dépose dans le torrent comme opposée au tas d’ordures new-yor­kais, alors ils sont ce qui est. Ils sont précisé­ment ce qu’ils sont. Bien sûr, les ordures sont des ordures, la feuille d’érable est une feuille d’érable, « ce qui est » est « ce qui est ». La forme est vide si nous la voyons en l’absence de nos propres inter­prétations personnelles la concernant. » Chôgyam trungpa, Pratique de la voie tibétaine (Éditions du Seuil).

         Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce texte des paroles de Swâmi Prajnânpad qui avaient tant étonné ceux qui les entendirent : « La cathédrale Notre-Dame de Paris et la gare de l’Est, même chose. » Équanimité de vision dépourvue de jugements et de comparaisons, qui me rappelle son attitude devant les différentes formes de pâtes que je lui présentais chaque jour : elles n’étaient que « de la farine et de l’eau ».

    Pour en revenir au sutra qui nous concerne, bien sûr, la forme est vide de nos idées préconçues. Soit. C’est là le premier point. Quant au second, voilà un point qui nous déconcerte : « le vide est aussi la forme ». Ce vide de la feuille tombée dans le torrent comme celui du tas d’ordures n’est pas réellement vide ; « il est aussi forme […] Essayer de voir ces choses comme vides est aussi les habiller d’un concept. […]. Il nous faut voir les qualités brutes et frustes des choses préci­sément telles qu’elles sont. »

    Première démarche donc : se débarrasser de toutes nos idées préconçues pour ensuite — seconde démar­che — se délivrer également des « subtilités de mots tels que « vide ». Les choses sont juste ce qu’elles sont, la forme est juste la forme, et le vide juste le vide ». Vide et forme sont indivisibles.

    « Chercher la beauté ou le sens philosophique de la vie est simplement une façon de nous justi­fier nous-mêmes… Nous n’avons pas à essayer de voir les choses à la lumière de quelque espèce de profondeur. Finalement, nous redescendons sur terre, nous voyons les choses telles qu’elles sont.» Ainsi shunyata (le vide) dans ce cas est-elle l’absence complète de concepts ou de filtres de quelque sorte et même l’absence de la conceptualisation « la forme est le vide » et « le vide est la forme ». »

         II est alors question de voir le monde de façon directe sans désirer une « plus haute conscience, un sens ou une profondeur ».

    D’où la nécessité, et par conséquent la démarche : se dépouiller de l’interprétation, de l’analyse, sans ajou­ter aux faits une notion d’expérience spirituelle ou phi­losophique. Uniquement «voir» (ce qui n’est pas si facile), et agir sans être divisé, directement, complète­ment, pleinement. Pas de place pour rêver du futur, ni pour hésiter, renâcler, douter. « Ce serait mieux si ; je n’aime pas faire cela; il faudrait que; si seulement j’avais déjà fini.., », ou autres élucubrations du même type qui impliquent finalement le refus plus ou moins fort de ce que l’on est en train de faire.

    Si on a choisi de faire ce que l’on fait et si le choix conscient résulte en un acte qui nous convienne et nous plaise, aucune de ces considérations, hésitations, refus, ne prendra place.

    En l’occurrence et pour en revenir à El-Kettar, l’acte de peindre était, depuis tous ces mois où j’étu­diais, où je pratiquais ce que je désirais, ce que je vou­lais (bien que je continuasse mes études au lycée sur ordre formel de mes parents) sans autre alternative, sans autre direction, sans division aucune. Du coup j’étais en train de réaliser ce que je souhaitais. « La pein­ture est chez elle à l’état de passion », tout au moins tel était l’avis que donna un jour ce professeur à mon père, que j’entendis bien malgré moi. Passion ou volonté suivie et réalisée, toujours est-il qu’il y avait en moi dans l’acte de peindre un contentement profond. Qui ne venait pas seulement d’un désir enfantin comblé mais d’un état d’être différent.

    Les qualités de la couleur, de la lumière, de l’énergie viennent à nous continuellement, pourtant il arrive sou­vent que nous refusions qu’elles nous pénètrent. Nous y sommes fermés, soit par une émotion — de tristesse ou de peur — qui parfois vient de loin, de l’enfance ou de plus loin et dont nous avons hérité en partage, comme si elle était naturelle. Du coup, le monde extérieur est rejeté comme hostile, voire menaçant (une attitude qui vient généralement d’un conflit avec la mère en qui l’enfant a perdu confiance). C’était bien souvent ainsi pour moi, et la fermeture au monde était mon lot coutumier. Une attitude sur la défensive qui me coupait de toute possibilité de communication, d’échange vrai avec les êtres, mais aussi avec l’ensemble du monde exté­rieur. Pour moi et sans doute pour nombre d’êtres humains, une incapacité existait de voir correctement, pleinement, ce qui se présentait à mes yeux, êtres ou choses. Le courant spontané de la communication res­tait bloqué. Dans l’acte de peindre, rien n’était modifié de la situation, ni du monde extérieur, mais l’ouverture survenait spontanément en faisant les gestes indispen­sables à l’œuvre, en étant amenée à une vision simple que requérait la nécessité de cerner les formes et les couleurs sans craindre, bien sûr, l’hostilité des choses contemplées. L’activité de peindre devenait conscience libre, neutre, à la fois de la situation particulière où je me trouvais, et en même temps de l’environnement. En l’occurrence, à El-Kettar, du paysage qui m’entourait et que j’avais à transcrire sur une toile vierge.

    En quelque sorte, je guérissais momentanément de la séparation avec le monde, de l’hostilité illusoire, ima­ginaire, que, selon moi, il avait à mon égard, et de la menace plus ou moins forte qu’il représentait pour moi. J’étais dans la vérité de l’échange, dans une petite approche d’un sentiment d’unité. D’où le contente­ment imprévu qui m’envahissait, qui m’étonnait, sans même savoir qu’il venait justement de la non-division, de la relative non-séparation et que c’était ce que je recherchais obscurément. Expérience ponctuelle, non durable : les habitudes anciennes, les pensées perni­cieuses et les jugements perpétuels ne tarderont guère à reprendre le dessus.

     Denise Desjardins  – extrait de « Le Réel et nous » (La Table Ronde)

    Les pages avec les peintures, les détails de peinture, et les textes de Denise sont extraites du livre « Denise Desjardins peintre – Denise Chesnay » de Nathalie Fricheteau. Vous pouvez trouver le bulletin de commande à cette adresse :   cliquez ici