
J’ai "craqué" pour ce conte écologique de Pierre-André Magnin.
Il explique bien le processus de l’effet de serre.
Monsieur Redfish est un poisson rouge ordinaire. Le matin,
il se lève tôt et mange trois tartines avant de se rendre
à son bureau. Le soir, il regarde la télévision jusqu’à dix
heures, boit une tisane aux algues, puis va se coucher.
Comme il s’ennuie un peu dans sa vie bien réglée, il décide, un samedi
matin, de prendre un animal de compagnie.
Le voilà donc qui entre
dans une boutique située à quelques pas de chez lui.
– «Bonjour», lance M. Redfish en s’adressant au vendeur qui
est un vieux poisson rouge au visage aimable. «J’aimerais
un petit animal rigolo, sans plumes ni poils, car je suis allergique.
Et qui n’exige surtout pas trop de soins. Avez-vous
quelque chose de ce genre ?»
Le marchand réfléchit : «Je dois avoir ce qu’il vous faut.
Il n’y a pas longtemps que nous en vendons, et je pense
que ça va vous plaire. Juste une minute, j’arrive…»
Le vieux marchand se retire dans son arrière-boutique, et revient
chargé d’un gros bocal. Il le pose délicatement sur le comptoir
avec un sourire malin. «Alors, qu’en pensez-vous ?»
M. Redfish se penche pour bien voir. Le bocal est complètement
fermé. A l’intérieur, il y a un petit bonhomme qui le regarde fixement
avec les poings sur les hanches. Il y a aussi une petite maison, un petit 
jardin, un petit lac, et des petits sapins.
– «C’est vraiment très joli !» s’exclame M. Redfish avec admiration. «Ça
coûte combien ?»
– «Ça peut paraître très cher au départ, explique le marchand. Mais, à
l’usage, c’est très économique. Il n’y a absolument rien à ajouter, ni rien
à changer. Le bocal contient tout ce qu’il faut pour assurer l’équilibre
écologique. L’air, les plantes, le lac, tout est en parfaite harmonie : vous
pouvez ainsi partir en vacances l’esprit tranquille, je vous l’assure…»
Lorsque M. Redfish sort du magasin avec son bocal dans les bras, il
a le sourire de celui qui est sûr d’avoir fait une bonne affaire. Une fois
arrivé chez lui, il le place dans le salon, près de la fenêtre, afin que les
petits arbres et le petit jardin puissent recevoir de la bonne lumière,
comme le lui a indiqué le vieux marchand.
M. Redfish passe le reste de son week-end devant la boule de verre,
oubliant même de regarder la télévision. Le petit bonhomme s’agite
beaucoup : il bricole sans arrêt, plante des patates dans son jardin, se
baigne dans le lac, récolte un peu de bois pour faire sa cuisine. Il a l’air
heureux – mais pas autant que M. Redfish, absolument ravi de son achat
Les deux mois qui suivent se déroulent sans problème. Le petit
bonhomme et les plantes du bocal sont en parfait équilibre.
L’eau qui s’évapore durant la journée, sous l’action du soleil, retombe
en pluie lègère quand vient le soir. Ainsi, lorsque M. Redfish décide de
partir en vacances pour quinze jours, il n’a aucune inquiétude…
Deux semaines plus tard, au moment où M. Redfish ouvre sa porte, il
est surpris par une drôle de pétarade. Une grande agitation règne dans
le bocal : le petit bonhomme s’est construit une petite voiture en bois
et tourne à toute vitesse en frôlant la paroi de verre. «Incroyable ! Il est
vraiment intelligent !», se dit M. Redfish, très fier. Pour confectionner
sa voiture, le petit bonhomme a abattu deux sapins. Et pour la faire
avancer, il a construit un moteur à vapeur en utilisant le fourneau de
sa petite maison. Il l’a placé à l’arrière du véhicule, et il y brûle du bois
de sapin pour chauffer l’eau qui produit la vapeur.
Cela fait trois jours que le petit bonhomme fait tous ses déplacements
avec sa voiture. Pour se rendre au jardin, il fait auparavant trois
tours de bocal. Et il doit bientôt couper un autre sapin pour fournir
de l’énergie à son engin. En consultant le thermomètre placé dans le
bocal, M. Redfish constate que la température s’est élevée. La pluie aussi
a changé. Ce ne sont plus de fines gouttelettes qui tombent le soir,
mais de grosses précipitations qui s’abattent n’importe quand dans la
journée, noyant le jardin et les patates. Inquiet, M. Redfish prend son
téléphone et appelle le marchand.
– «C’est normal si tout va mal», lui explique le vieux poisson rouge.
«Votre petit bonhomme brûle trop de combustible et coupe trop d’arbres.
Quand on fait du feu ou quand on utilise sa voiture, on dégage
du gaz carbonique dans l’air. Et c’est parce qu’il y a trop de ce gaz qu’il
fait trop chaud. C’est ce qu’on appelle l’effet de serre. Votre bonhomme
devrait s’en rendre compte et poser sa voiture pour laisser à nouveau
pousser les arbres: eux seuls sont capables de capter ce gaz carbonique
et de le transformer à nouveau en bois…»
Quand M. Redfish repose son téléphone, il pense que son protégé
n’est pas si intelligent que ça. «Il va quand même réagir !», se dit-il. Mais
non ! le lendemain, le petit bonhomme coupe encore un sapin. Et il
trouve même le moyen de bricoler sa voiture pour aller encore plus
vite : il fait maintenant quatre tours de bocal pour se rendre au jardin.
«Mon Dieu», s’écrie M. Redfish en regardant le thermomètre qui ne
cesse de s’élever et les gouttes qui coulent sur la paroi du bocal : «On
ne voit bientôt plus rien là-dedans !»
Trois jours plus tard, M. Redfish rend le bocal au vieux poisson rouge.
Tout est gris et triste, à l’intérieur. Il n’y a plus d’arbres, les plantes du
jardin ont pourri sur pied, et il fait tellement chaud que l’atmosphère
ressemble à celle d’une sauna. Le petit bonhomme suffoque et pleure
de rage au volant parce qu’il ne peut plus avancer. «Je vous le rends, dit
M. Redfish, je ne veux pas le voir mourir. Vous n’auriez pas autre chose,
également sans plumes ni poils, mais en beaucoup moins bête ?»
Le marchand le regarde avec un air désolé: «Prenez donc des escargots.
Ils ne sont pas pressés, et il n’y a pas de risque qu’ils coupent les arbres
pour se faire une belle carrosserie : ils en ont déjà une sur le dos !»