« Le trait principal » (the chief feature) est un terme forgé par Gurdjieff pour désigner le nœud central, la cristallisation d’un refus majeur au cœur du psychisme autour duquel se construit ensuite la fausse personnalité.
C’est un thème auquel je pense depuis longtemps… Yann, m’avait indiqué au cours d’un GSMP, que chez moi, ce trait principal, était le manque d’estime de moi.
Grâce au livre de Sophie et Eric Edelmann : » Dites leur de viser haut », dont Frédéric a déjà posté deux extraits sur ce blog, je me penche à nouveau sur ce thème. « Le trait principal », thème essentiel dans la poursuite de mon chemin. Nul doute, à mes yeux et mon cœur, que ce sujet risque fort de vous intéresser aussi…
(…) Véronique Desjardins, Eric et Sophie Edelmann, ont au cours d’un séjour dans une auberge en pleine nature avec Arnaud, questionné celui-ci au sujet du « trait principal ».
(…) Mais leur détermination (à Véronique, Sophie et Eric) à poursuivre des efforts sincères sur le long cours avait joué un autre rôle, plus inattendu : celui de mettre en évidence l’existence en nous-mêmes d’un bastion apparemment imprenable, une résistance majeure au processus de transformation.
Arnaud savait de première main de quoi nous parlions puisqu’il en avait fait lui-même l’expérience lorsque sa propre sadhana s’était intensifiée dans les dernières années de sa relation avec Swamiji (vous pouvez à ce sujet, lire la biographie d’Arnaud, par Gilles Farcet : « Arnaud Desjardins ou l’aventure de la sagesse », La table ronde 1987)
Question : Qu’est-ce qui en nous, s’oppose si farouchement au pouvoir de la pratique et à l’influence d’une lignée spirituelle au point de vouloir les saboter ? Et pour protéger quoi ?
Arnaud : ...vient un moment où « le trait principal » se sent menacé par la pratique. Si on ne se disperse pas pour glaner d’autres pratiques ou influences appartenant à des voies différentes de la nôtre, l’engagement sur un chemin précis finit par conduire dans une sorte de goulet d’étranglement, un resserrement qui menace notre stratégie de survie, en réalité la stratégie de survie de l’ego…
Question : Qu’est-ce que le trait principal ? Comment le définir pour chacun de nous ?
Arnaud : Il n’est pas facile de trouver son trait principal ni celui de quelqu’un d’autre. Cela peut prendre des années pour soi-même et une façon d’y parvenir, c’est de chercher ce qui nous fait le plus peur, ce que nous redoutons le plus : la trahison, la critique, l’abandon, l’intrusion, se trouver face à l’incontrôlable, etc., et de voir comment notre mental s’est construit sur une injonction intérieure censée nous protéger du pire : » On ne m’aura pas », » Ne me critiquez pas », » Je suis en contrôle de tout »…
Question : Se libérer de notre trait principal, même après des années, voire des décennies de pratiques, nous semble hors d’atteinte. Peut-on réalistement espérer une telle transformation ? Sous quelle condition cela ne restera pas illusoire ?
Arnaud : Il est impossible de se libérer du trait principal en l’isolant du reste. Le trait principal, la façon dont notre mental s’est cristallisé sur une pensée fausse, chacun la sienne, est bien trop fort pour que nous puissions y faire face ainsi.
La seule issue est dans la désidentification globale, totale, de tout ce qui fait le moi. En fait, si je prends une image, c’est comme si on voulait jeter quelque chose par la fenêtre ou à la poubelle et que cela nous soit très difficile, en fait impossible. La seule issue est de jeter tout en même temps : cette chose et tout le reste. Pris dans un tout, cela devient possible ; isolé du reste c’est impossible.
C’est une décision qui doit cristalliser. Quoi qu’il m’arrive et qui serait -vu mon trait principal- le pire du pire : Ce n’est jamais une raison pour que je me sente séparé de Dieu. Ce qui équivaut à cette formule de Swamiji, même si elle nous parait plus sèche : » L’émotion n’est jamais justifiée. »
Si on se demande simplement de ne plus être emporté par notre émotion habituelle quand notre pire scénario s’actualise dans les faits, on n’y arrivera pas : la force de la mécanique émotionnelle sera trop grande. C’est par une décision d’un autre ordre, par un processus plus profond qui s’attaque à la racine du moi, à l’identification elle-même, que nous pouvons accéder à cette liberté, liberté qui se manifestera y compris dans le pire de nos scénarios.
Cela ne veut pas dire que nous n’aurons plus d’émotions, mais qu’une fois l’incendie émotionnel déclaré, nous saurons immédiatement où est l’extincteur et nous ne perdrons pas une minute d’hésitation avant de l’utiliser.
Le trait principal est notre thème privilégié, récurrent, de pensées ; notre sujet favori de ruminations mentales et émotionnelles non nécessaires.
Le trait principal est notre plus grande faiblesse que nous prenons pour notre plus grande aisance ou notre plus grande qualité.
Le trait principal est le domaine où nous avons le moins l’intention de mettre en pratique. Chacun connaît son trait principal : c’est l’aspect de vous qu’il vous est le plus insupportable d’entendre mettre en cause.
Le trait principal est toujours associé à la conviction d’être spécialement ceci ou spécialement cela, et l’ego y trouve toujours son compte.
Le trait principal est la part mécanique de nous que nous nourrissons le plus (et il s’agit avant tout de nourritures psychologiques).
Le trait principal est le domaine dans lequel le mental nous roule le plus facilement dans la farine.
Extrait du livre de Sophie et Eric Edelmann : DITES- LEUR DE VISER HAUT
Page 307 à 311